Martin ABEGA : ‘Nous sommes des passeurs’, rencontre avec le photographe qui écrit avec la lumière.
L’histoire de Martin ABEGA est une invitation à réveiller le divin en nous et faire alliance avec. Photographe et artiste mixte, il puise dans le divin, les traditions et ses rencontres avec le savoir pour nourrir sa création. Le monde sacré de Martin Abega met en alliance le corps, histoire et le beau. Récemment exposé en solo avec la galerie Gondwana pour Les Marques du Divin, Martin Abega nous conte son épopée artistique et en reparcourant ses séries les plus marquantes.
Martin ABEGA
Dans cet entretien, Martin ABEGA retace son parcours initiatique à la photographie, guidé par un appel divin auquel il a osé répondre.
« La photographie je ne l’ai pas choisie, c’est elle qui m’a choisi. » C’est ainsi que Martin ABEGA débute le récit de son initiation à la photographie débutée il y a maintenant huit années à son arrivée en France. « Quand je suis arrivé, je me cherchais. Ayant grandi dans un environnement aux antipodes de celui-ci et donc il a fallu se réadapter. Notamment il faut trouver ce qui te parle le plus et qui est adapté à la fois à ton environnement et à la personne que tu es supposé devenir. C’est ainsi que je suis tombé sur la photographie.»
Ngalula MAFWATA : Quels ont été vos premiers émois artistiques ?
Martin ABEGA : Je me rends compte assez rapidement de mon attachement à la photographie, de l’écriture avec la lumière et plonge littéralement. Les premiers retours que je reçois viennent de mes proches qui voient cette lumière en moi lorsque je parle leur parle de photographie et qui surtout remarquent que j’y consacre tout mon temps au point de ne plus les voir. Je me vois prendre une tout autre direction alors que je suis électricien de formation. Je débute des contrats commerciaux pour acheter mon matériel, apprendre et développer ma signature. C’est une époque durant laquelle je me questionne beaucoup et le confinement renforce cet état de réflexion comme beaucoup de personnes. Je me suis laissé porter par la culture, mes lectures. C’est d’ailleurs par la photographie que s’est renforcé mon affinité avec la lecture, en cherchant à me documenter et à déconstruire beaucoup de pensées limitantes que j’avais jusque-là. Je suis également photographe de beauté, une activité que je poursuis et qui influence mon travail.
Ngalula MAFWATA : Le soutien de vos proches semble avoir été important à cet instant ?
Martin ABEGA : J’ai eu la chance d’avoir un entourage qui m’a dit de foncer. Lorsque l’on entreprend de suivre un nouveau chemin, on passe souvent par des moments de doutes qui peuvent mener à l’abandon. L’entourage ne comprend pas toujours, mais on fait les choses pour soi. Je pense que si quelque chose t’habite et te rend heureux, il faut y aller. Nous sommes dans une société en mouvement qui cherche à nous mettre dans des cases toutefois j’ai constaté que beaucoup de personnes s’en rendent compte désormais et essayent de faire les choses en fonction de leur alignement intérieur pour éviter de sombrer dans la dépression et la monotonie. La photographie c’est la lumière, j’apprends tous les jours. Lorsqu’une thématique me parle, je commence à me documenter et à me nourrir d’information sur le sujet avant de me laisser porter par la création divine.
Ngalula MAFWATA : La femme apparaît régulièrement sur vos clichés, elle semble être une figure d’influence centrale de votre œuvre.
Martin ABEGA : Peu de personnes le savent mais j’ai été éduqué par des femmes. J’ai cinq grandes sœurs en plus de ma mère. J’ai reçu énormément des femmes de mon entourage, sans pour autant minimiser la présence de mon père. J’ai été bercé par leur affection, et cela a profondément influencé ma perception du monde. La femme donne la vie : à travers mes sœurs d’abord, puis d’autres femmes, j’ai découvert l’affection, l’amour, les sacrifices faits pour ceux qu’elles aiment. La sensibilité des femmes a toujours suscité une forme de curiosité en moi car les hommes nous ne disposons pas d’autant de ces qualités maternelles et c’est quelque chose qui me touche. C’est ce dont je me nourris pour réaliser mes créations. Ma série Féminin Sacré est ma manière de leur rendre un humble hommage. On ne donne que ce que l’on est.
“Nous sommes dans une société en mouvement qui cherche à nous mettre dans des cases toutefois j’ai constaté que beaucoup de personnes s’en rendent compte désormais et essayent de faire les choses en fonction de leur alignement intérieur pour éviter de sombrer dans la dépression et la monotonie.”
The Scarification, Martin ABEGA
Ngalula MAFWATA : Les masques ont une place particulière dans notre histoire, nous semblons tous être attirés par pour des raisons différentes. Ils apparaissent également au sein de votre œuvre, quel sens, langage leur donnez-vous ?
Martin ABEGA : Nous sommes tous attirés par le masque, ce n’est pas un hasard. Mon histoire a débuté par un ami et aîné Jean-Christophe Zongo, spécialiste des arts primaires et a longtemps été antiquaire avant d’avoir sa galerie. Il m’a beaucoup conseillé en particulier durant trois années durant lesquelles je me rendais souvent dans sa galerie. C’est ainsi que s’est tissée ma relation avec les masques. Je crée en fonction de ce qui m’habite et me parle, à l’instinct. J’ai découvert les masques, l’histoire collective qu’ils portent, leur signification, ainsi que l’énergie qui les traverse : celle de celui qui les crée. Je me suis plongée dans leurs symboliques, qu’il s’agisse de protection, de beauté ou de fécondité. Il y en a tant. Chacune de nos rencontres a nourri ma réflexion, et c’est ainsi qu’est née cette série consacrée aux masques. Avant de créer je me documente pour créer quelque chose de spécial, qui me ressemble tout en respectant les codes et traditions de chez moi notamment à travers le langage corporel, les contrastes et mystères. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai choisi des modèles féminins sur cette série. Nous avons réalisé cette série en deux temps, à la galerie et au bord de la mer afin de garder cette dimension naturelle propre aux masques.
C’est un procédé assez organique finalement.
Martin ABEGA : Tout à fait. Je me laisse emporter par la créativité, mes recherches et lectures. En général, je ne viens avec un script que je finis par ne pas réellement utiliser. J’aime dire qu’écrire avec la lumière c’est quelque chose d’instinctif et de spontané. Je suis même étonné du résultat bien souvent. Selon les projet je travaille seul ou en équipe. Je reste intimement convaincu que si le sacré te confie une mission, il faut l’honorer. Nous sommes des passeurs, nous avons un don. Il faut se laisser emporter par le divin en nous.
Ngalula MAFWATA : Faire usage de ses dons, c’est un chemin que peu osent, qu’en pensez-vous ?
Martin ABEGA : Nous vivons dans un système qui broie la confiance en soi. Aussi nous sommes saturés d’information au quotidien, ce qui va dans le sens contraire de l’ordre naturel. Beaucoup de personnes sombrent dans la dépression ou ne se sentent plus équilibrées. Il faut sortir des codes qui nous sont imposés, c’est, selon moi, la première étape pour se libérer de la peur. Car c’est la peur qui fragilise. Lorsque je suis sorti de ma zone de confort, c’est là où j’ai pu réellement me laisser emporter par ce qui m'habite. La réalité c’est qu’il n’existe pas de code, chacun est unique. Il faut oser écouter sa voix intérieure, celle qui nous guide et encourage dans un sens comme dans l’autre. Lorsque je me suis enfin laissé emporter, la photographie m’a choisi et c’est là que le déclic de la peur s’est dissipé. Construire sa propre stabilité peut faire peur et c’est le système qui le souhaite d’ailleurs. Pour savoir comment ça va se passer, il faut se lancer.
“La femme donne la vie : à travers mes sœurs d’abord, puis d’autres femmes, j’ai découvert l’affection, l’amour, les sacrifices faits pour ceux qu’elles aiment. La sensibilité des femmes a toujours suscité une forme de curiosité en moi car les hommes nous ne disposons pas d’autant de ces qualités maternelles et c’est quelque chose qui me touche.”
Ngalula MAFWATA : Récemment, vous avez commencé à intégrer le textile ainsi que d’autres éléments dans vos œuvres, que dire de ce nouveau chapitre ?
Martin ABEGA : Mon travail est évolutif, je ne reste pas dans une case. Après six années consacrées exclusivement à la photographie, j’avais envie d’ajouter autre dimension à mon travail. J’ai grandi au Cameroun et je me souviens que nous devions broder notre nom sur nos uniformes. Enfant, j’avais l’habitude de le faire, d’explorer différentes formes d’expression — comme les graffitis brodés sur mes sacs à dos, et quelque part, c’est revenu plus tard. Le toucher est important pour moi : je trouve la combinaison entre la photographie et le textile unique. Je ne veux pas que l’on regarde des œuvres seulement, je veux qu’on les ressente. Le textile apporte cette profondeur supplémentaire à mon travail. C’est l’aboutissement de nombreux essais et explorations.
L’énergie royale “NGUI”, Martin ABEGA
Ngalula MAFWATA : Quelle connexion gardez-vous avec le Cameroun aujourd’hui ?
Martin ABEGA : J’ai réalisé un projet sur le Cameroun dernièrement et fais l’effort d’y retourner. Je suis d’avis de dire que pour être légitime, il faut se connecter. On ne peut pas parler de sa culture, de patrimoine, de mémoire et identité, du sacré, sans y aller. Ce n'est pas normal. Le divin me porte et me dit quand y aller. De la même manière, lorsque je suis allé à Abidjan pour la première fois, ce n’était pas quelque chose de planifié cependant les choses se sont alignées et c’est ainsi que j’ai eu mon projet d’exposition à Abidjan. Je suis camerounais toutefois mon projet peut me porter en Côte d’Ivoire, Nigéria, Mozambique… L’Afrique appartient à tous les africains.
Ngalula MAFWATA : Votre exposition Les Marques du Divin se termine en octobre, comment envisagez-vous la suite ?
Martin ABEGA : Je concrétise une nouvelle étape de mon travail qui a pour but d’augmenter l’amplitude de mon travail afin que davantage de personnes y aient accès et laisser une empreinte notamment les personnes n’ayant pas la possibilité de se rendre en galerie. Je dévoile mon premier livre photo. C’est un projet que j’avais à l’esprit depuis quelques temps et j'ai décidé de me lancer finalement. Le livre, c’est amener mon travail à une nouvelle dimension.
Retrouvez le travail de Martin ABEGA ainsi que son livre sur son site personnel ainsi que son livre d’art “Ancestral et Contemporain”