Alexis Peskine présente Ouro Verde ou l’histoire d’une renaissance

L’histoire commence par une mort ou plutôt une renaissance. Alexis Peskine présente Ouro Verde à la foire MIRA avec Filafriques, une nouvelle collection qui puise dans un épisode profondément transformateur de sa vie et dans une renaissance spirituelle intimement liée à ses origines afro-brésiliennes. Initié au Candomblé, tradition ancrée au Brésil, l’artiste amorce une rupture dans son œuvre. Il relate cette expérience fondatrice, à la fois intime et artistique, tout en nourrissant une réflexion sur son parcours, entre expression identitaire et militantisme renouvelé.

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Alexis Peskine à la foire MIRA, Novembre 2025

C’est à la foire MIRA 2025 que nous avons eu l’occasion de rencontrer Alexis Peskine qui dévoile Ouro Verde -  Or Vert - une nouvelle collection qui tout en étant dans la continuité de son oeuvre marque une rupture. Entre guérison, savoir et communauté, Alexis Peskine dévoile les secrets de Ouro Verde


Ngalula MAFWATA, MAYÌ-ARTS : Que signifie Ouro Verde ?

Alexis PESKINE : Ouro Verde signifie Or Vert en portugais trouve son inspiration dans la pratique de la spiritualité Candomblé, à laquelle j’ai été initié.  L’Or Vert est un symbole fort pour moi qui capture un épisode particulier de ma vie, alors que j’ai vécu une expérience traumatique qui m’a laissé dans un coma prolongé durant plusieurs jours. Suite à cette expérience, j’ai ressenti le besoin d’un apaisement et d’un retour spirituel. J’avais déjà cette connection spirituelle notamment de par les cauris depuis une quinzaine d’années, toutefois c’est au contact de guérisseurs semblables à des babalawos et qui m’ont accompagné et initié aux bains de feuilles et tout un ensemble de pratiques que le lien s’est renforcé. C’est ce qui se cache derrière cette notion d’or vert.


Ngalula MAFWATA : Quelles sont les expériences fondatrices de cette nouvelle collection ?

Alexis PESKINE : Lorsque je présente une nouvelle exposition, j’aime connaître l’historique des lieux. Cette collection s’est construite autour des lieux auxquels je me suis ancré tout le long de sa composition. Ainsi, tous les modèles présents, sont des Afro-Suisses. Durant le processus créatif, nous nous sommes particulièrement intéressés aux praticiens guérisseurs autochtones suisses et ayant cette connaissance ancestrale, notamment des plantes. Je me souviens également des échanges que j’ai pu avoir avec une amie de mon frère suisse rwandaise également guérisseuse ou encore de ce documentaire de la RTS montrant les limites de la médecine dite moderne face à des cas graves d’eczema et cancers en phase terminale finalement guéris par la médecine traditionnelle. Des guérisons miracles pour lesquelles la science occidentale et les professionnels de la santé, n’ont pas vraiment d’explication. Ce sont des exemples qui soulignent cette tendance occidentale de vouloir tout expliquer et disqualifier ce qui ne peut l’être. 

Ouro Verde #1,Ilona, Alexis PESKINE 2025, Filafriques

Cette collection s’est construite autour des lieux auxquels je me suis ancré tout le long de sa composition. Ainsi, tous les modèles présents, sont des Afro-Suisses. Durant le processus créatif, nous nous sommes particulièrement intéressés aux praticiens guérisseurs autochtones suisses et ayant cette connaissance ancestrale, notamment des plantes.
— Alexis PESKINE

Ngalula MAFWATA : Finalement, c’est intéressant d’être parvenu à croiser votre quête personnelle avec votre géographie physique actuelle tout en continuant d’alimenter votre quête spirituelle...

Alexis PESKINE : Avec du recul, je pense que nous avons été guidés par nos ancêtres, par les orixás, et par les éléments du monde immatériel tout au long du chemin. Alors que je me trouvais en Suisse, nous avons mené un vaste travail de recherche et de documentation avec Carine (Carine Biley, Filafriques). Tout s’est aligné et est arrivé jusqu’à nous avec une certaine facilité. Bien sûr, nous avons fait l’effort de chercher d’abord, mais les choses se sont presque présentées à nous comme des offrandes. Par exemple, nous avons découvert la ferme de Mamajah, où les plantes, les fleurs et les pétales nous ont été offerts. Dans sa générosité, elle nous a donné tout ce dont nous avions besoin.


Nos recherches nous ont aussi conduits dans différents lieux : nous sommes allés au lac Léman, où Carine nous a emmenés pour extraire de la poudre ; une autre amie m’a apporté de la terre du Congo pour pigmenter une pièce que nous avons présentée ; et j’ai également collecté de la boue des mangroves en Guadeloupe. Il était important de rassembler tous ces éléments naturels pour compléter ce que j’utilisais déjà : des plantes européennes comme le romarin, l’eucalyptus, la menthe, le basilic et la lavande.

Ngalula MAFWATA : Il y a une forme de reflexion personnelle dans ce travail, qu’est-ce qui a changé ?

Alexis PESKINE : Oui, j’exprime le parallèle entre mon besoin de sérénité intérieure et de guérison, moi qui ai longtemps manifesté ma résistance à travers mon travail. Dans ma famille, le militantisme est un héritage, et je me suis longtemps exprimé sur les questions liées à l’oppression raciale dans le monde occidental. Avec les années, ma perspective a toutefois évolué. Quand on est jeune, on a la fougue et l’espoir ; mais en vieillissant, on réalise que les choses ne changent pas vraiment. Nous évoluons dans un monde toujours plus capitaliste et violent, même si l’on tente d’en masquer la réalité. Aujourd’hui, ces dynamiques sont plus visibles que jamais, heureusement et malheureusement  — ce qui peut parfois être déprimant.

Aujourd’hui, je me dis donc qu’il est temps de m’occuper de moi : de mon monde intérieur, de ma santé mentale et de mon bien-être. Les choses ne vont pas s’arrêter, mais à un moment donné, la révolution doit aussi avoir lieu à l’intérieur. Il est essentiel de passer par là : faire une pause, se reconnecter à soi, puis repartir au combat si on le souhaite. Résister demande une immense force mentale. Et le mental, comme le corps, s’entretient.

Ouro Verde, Alexis Peskine

Ouro Verde, Alexis Peskine

Alexis Peskine à la foire MIRA, Novembre 2025

Ngalula MAFWATA : Comment décririez-vous l’évolution de votre pratique ces dernières années ? Avez-vous le sentiment que votre manière de travailler a changé ?

Alexis PESKINE : C’est assez subtil. J’utilisais et j’intégrais déjà la terre et certaines couleurs dans mes travaux ; en revanche, ce qui a réellement changé, c’est l’intention. L’intention de travail. L’année dernière, par exemple, mes pièces ont commencé à prendre des formes organiques, proches de celles des plantes. Je suis devenu plus intentionnel dans les teintes et les matériaux. C’est subtil, mais l’intention transforme l’esprit de l’œuvre.

Et que signifie cet autel central ?

Alexis PESKINE : Cet autel est une représentation de ce que je fais chez moi. J’y place des éléments que j’utilise au quotidien, comme les fleurs. C’était important pour moi de recréer l’autel que j’ai chez moi, au pied duquel je médite et exprime mes gratitudes chaque jour. Avec mes orixás, il était essentiel de les représenter et de les remercier également.

Dans l’histoire contemporaine, des expositions comme Les Magiciens de la Terre (Jean-Hubert Martin, 1989) ou Africa Remix (Simon Njami, 2004) ont amorcé un changement. C’est à partir de là que l’on a commencé à s’intéresser et à donner de la visibilité aux artistes afro-descendants, antillais, tandis que les artistes africains de la diaspora bénéficiaient d’une visibilité moyenne.
— Alexis PESKINE

Ngalula MAFWATA : L’identité est un fil conducteur au sein de votre oeuvre, quel ancrage lui donnez-vous actuellement ?  

Alexis PESKINE : Les volets les plus récents de mon travail s’appellent les Forest Figures. Ils prennent la suite des Power Figures qui incarnaient la protection et des Fire Figures qui incarnaient la révolte. Les Forest Figures incarnent la guérison, la sérénité, le bien être, l’amour et la nature. J’ai remarqué que la résistance était toujours pensée en réponse à la suprématie blanche. Cependant il est important de juste vivre. C’est important d’être nous-même en dehors de la réaction et d’incarner le comment vivrait-t-on sans oppression. C’est essentiel d’être dans nos pratiques, rituels, de créer et aimer comme aime, de créer comme on créé le souhaite et sans être dans la réaction ni l’oppression. 

Ouro Verde #12, Ère Ibeji, Alexis PESKINE 2025, Filafriques

Ngalula MAFWATA : C’est une reflexion assez présente au sein de la Francophonie il semble ?

Alexis PESKINE : Pas uniquement. Les américains partagent ce point de vue. Cependant j’ai constaté que beaucoup d’afro-descendants francophones ont tendance à faire le distinguo entre francophonie et monde anglophone alors que ceux que nous appelons anglophones par exemple ne se définissent jamais de cette manière mais plutôt par leur pays d’origine tout simplement. Si je prends les Nigérians, Ghanéens, Sud-africains par exemple. Cette question nous ramène à ce que j’évoquais plus tôt : l’idée d’exister en dehors du regard de l’ancien colon. Nos mondes sont sophistiqués, complexes, incroyables. Et paradoxalement, nous contribuons à créer le monde du colonisateur, un monde qui n’existe pas sans nous et qui, d’une certaine manière, n’a d’intérêt que parce que nous en faisons partie. Collectivement, nous possédons des histoires, des univers et des cultures suffisamment riches pour exister sans devoir nous définir à travers un colonialisme passé - et même présent.

Le colonialisme francophone, lui, s’immisce dans l’intimité : il dort avec toi, te surveille, et cherche à t’intégrer à un système de pensée. Même lorsqu’il détruit, il veut que tu adhères à son récit, que tu fasses partie de cette identité, sans jamais bénéficier des avantages qui lui sont associés. La colonisation à la française veille à ce que tu restes en phase avec sa narrative, que tu fasses partie de son identité - mais sans contrepartie réelle. Déconstruire cette narrative est un défi immense. Elle t’utilise pour sauver son pays des conflits et de la crise, pour se reconstruire, s’enrichir - économiquement, technologiquement, intellectuellement, culturellement. Et dès que tu t’en détaches, elle tente de te rattraper.

On le voit aujourd’hui dans les dynamiques France-Afrique qui sont en pleine mutation, avec des stratégies de séduction, notamment dans le champ culturel : une nouvelle forme de soft power. Dans des sociétés dont le tissu culturel a été profondément abîmé, il devient extrêmement difficile pour les artistes d’accéder à des scènes ou des plateformes qui ne dépendent pas de ces dynamiques France–Afrique ou de grandes oligarchies. Il est encore rare qu’un artiste africain puisse présenter son travail sur le continent sans passer par de grands groupes.

Dans des sociétés dont le tissu culturel a été profondément abîmé, il devient extrêmement difficile pour les artistes d’accéder à des scènes ou des plateformes qui ne dépendent pas de ces dynamiques France–Afrique ou de grandes oligarchies. Il est encore rare qu’un artiste africain puisse présenter son travail sur le continent sans passer par de grands groupes
— Alexis PESKINE


Ngalula MAFWATA : A-t-il été plus facile pour vous de vous insérer sur le marché de l’art en dehors de la France ?

Alexis PESKINE : En tant qu’Afro-descendant né en France, je n’ai pas beaucoup exposé ici jusqu’à présent. J’ai d’abord présenté mon travail aux États-Unis, avec une première exposition intitulée The French Revolution à Brooklyn, et j’y ai beaucoup exposé avant de revenir en Europe. Dans l’histoire contemporaine, des expositions comme Les Magiciens de la Terre (Jean-Hubert Martin, 1989) ou Africa Remix (Simon Njami, 2004) ont amorcé un changement. C’est à partir de là que l’on a commencé à s’intéresser et à donner de la visibilité aux artistes afro-descendants, antillais, tandis que les artistes africains de la diaspora bénéficiaient d’une visibilité moyenne. Il a fallu du temps pour que les expositions consacrées à l’Afrique s’ouvrent également aux voix de la diaspora. Pour ma part, je n’entrais dans aucune de ces catégories : pas assez brésilien au regard de mon parcours en France, même si j’ai grandi dans une famille où la culture m’a été transmise ; pas assez français non plus.

Dans mon cheminement personnel, j’ai commencé à voyager fréquemment en Afrique, notamment à Dakar, à partir de 2010 , à participer à des biennales, et j’ai progressivement été intégré à ce mouvement panafricain culturel.

Carine BILEY (Filafriques) et Alexis PESKINE lors de la foire MIRA, Novembre 2025


Ngalula MAFWATA : Finalement, que retenir de Ouro Verde ?

Alexis PESKINE : Il faut prendre soin de soi. Se soutenir et s’occuper des uns des autres. Guérir en communauté est important car nous vivons dans un monde qui pousse à l’isolation pour mieux être contrôlés. Il faut voyager, grandir, apprendre surtout. Aimer, aimer les autres… qui sont aimables ! (rires)


Retrouvez Ouro Verde d’Alexis PESKINE sur Filafriques ainsi que ses espaces personnels

Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com
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