Dans les mondes oniriques de Zilien : voyage au bout de la conscience

Plongée dans les mondes rêvés de Zilien, oniriques et vibrants. Né à Maurice, il trace les routes invisibles de la conscience et invite chacun à voyager dans l’infini de ses mondes intérieurs. Chez lui, le rêve prolonge la réalité comme une ombre lumineuse, une résonance subtile que ses toiles et installations incarnent. Entrer dans son univers, c’est pénétrer l’antichambre de l’âme, là où se mêlent paysages intérieurs et horizons extérieurs. L’art de Zilien est une expérience.

Zilien

Dans cet entretien exclusif, nous rencontrons Zilien, artiste basé à l’île Maurice, dont la pratique surréaliste contemporaine invite à un véritable examen de conscience. De la musique aux expériences, tout est mémoire et conscience chez Zilien.

Ngalula MAFWATA : Que faut-il savoir de vos débuts ?


Zilien : Depuis l’enfance, comme tous les enfants je dessinais et étais dans mon monde. On peut dire que tout a débuté avec mes parents qui m’achetaient beaucoup de matériel pour encourager une certaine créativité. Ayant grandi dans les années 1990, j’ai longtemps puisé dans l’univers de l’animation et toute la culture visuelle de cette époque, très animé par les couleurs. Avec le temps toutefois, les études et autres occupations ont commencé à prendre le dessus sur l’essentiel de mes passions et je me suis mis à dessiner à côté, lorsque j’avais un peu de temps libre, jusqu’à ne plus avoir de temps du tout lorsque je me suis mis à travailler à la fin de mes études. 

Finalement, c’est à l’âge de 22 ans, reconnaissant que j’avais un certain talent mais aussi, encouragé par mes parents et mes amis qui n’avaient de cess de me dire de faire quelque chose de mon don plutôt que de le gâcher que je m’y suis replongé. C’est là que j’ai commencé à être dans les Beaux-Arts réellement, à peaufiner ma technique, faire de la sculpture, installation et peinture, expérimenter. L’histoire de l’art a cimenté mon intérêt pour l’art, petit à petit, je me suis intéressé et ai puisé dans les livres. Avec le recul, je me rends compte que je retrouve le monde que j’avais créé dans l’enfance, dans mes œuvres aujourd’hui. Je puise dans ce monde pour réaliser mes œuvres. 

 

Ngalula MAFWATA : Quelles ont été vos premières influences ?

Zilien : Durant le confinement de 2021, un ami m’a offert un livre, L’Interprétation du Rêve de Freud. Avec tout ce temps libre, j’ai commencé à le lire et j’ai rapidement été fasciné. À cette période de ma vie, je m’éveillais peu à peu à une conscience plus aiguë de mes rêves : j’étais capable de les observer et de m’interroger sur cette zone frontière où l’inconscient et la réalité s’entrechoquent. J’ai étudié ce livre avec une attention particulière, presque comme un manuel de voyage dans un autre monde.

Mon père, musicien, m’a profondément inspiré. Comme certains courants du jazz qui cassent les codes fondamentaux, je me suis finalement autorisé à faire les choses sans demander la permission. Peu à peu, je me suis intéressé à l’aspect surréaliste des rêves et à la manière dont ils résonnent avec la réalité de mon quotidien. J’ai commencé à produire, à imaginer des formes éclatées, à participer à des compétitions pour développer et affiner mon style. Lorsque j’ai eu l’opportunité d’avoir mon propre studio, je m’y suis consacré à 100 %, déterminé à poursuivre mes études de style et à perfectionner mon univers avec une précision nouvelle. Après avoir intégré la théorie et l’académisme, j’ai choisi de laisser place à l’inconscient et d’écouter ce qui était à l’intérieur de moi. L’inconnu m’a alors guidé pour façonner des objets métaphoriques et de petits mondes intérieurs dans les œuvres. 

li ti mem plas kot monn kit li, Mixed media on canvas, 110 x 120 cm, Zilien, 2025

A ce propos, quelle est la signification de ces mondes, objets et intérieurs ?

Zilien : Il faut revenir du côté de mon enfance, plus précisément à l’intérieur de la maison où j’ai grandi, au pied de la montagne, dans un lieu calme et presque idéal. À 17 ans pourtant, j’ai dû quitter cette maison de façon abrupte, sans avoir le temps d’en faire le deuil. Avec le temps, ce départ a commencé à me rattraper, comme si j’étais hanté par cet endroit. Il m’arrive encore aujourd’hui de m’y voir à l’intérieur, d’en percevoir les pièces, d’y être présent. C’est ainsi que j’ai décidé d’extérioriser ces expériences et d’en parler. La plupart des espaces que je représente dans mes œuvres sont des fragments de cette maison, des images issues de mes rêves. Quand je peins, je deviens le spectateur de ce que je crée. Et, une fois l’œuvre terminée, je me retrouve à me demander comment et pourquoi j’ai peint ce que j’ai peint, c’est comme une révélation.

Mon art puise dans l’inconscient de ce que je vis. L’inconscient est un élément central de nos vies, pourtant nous n’en avons souvent pas pleinement conscience. Des fragments de ces éléments émergent dans notre quotidien, que ce soit dans nos rêves nocturnes ou dans ceux de la journée.

 

Votre création est-elle donc guidée par l’inconscient ou avez-vous déjà une idée avant de créer ? 

Zilien : En réalité, tout commence toujours par une chanson. La musique ouvre mon esprit. J’ai l’impression d’avoir déposé des souvenirs dans certaines mélodies, certaines notes ; c’est à travers elles que je parviens à percevoir la couleur, l’objet, et à ressentir si l’émotion est positive ou négative. Cela m’aide beaucoup, mais cela dépend aussi de mon état du moment. Je peins beaucoup la nuit : c’est un moment calme, sans interruptions, où je peux créer pleinement. Et une fois lancé, il m’est impossible de m’arrêter avant d’avoir terminé l’œuvre… au point d’en avoir des cernes ! (rires)

La musique ouvre mon esprit. J’ai l’impression d’avoir déposé des souvenirs dans certaines mélodies, certaines notes
— Zilien

Konversasion 1, installation serie, Zilien, 2025

Ngalula MAFWATA : Le monde des rêves est-il réel ?

Zilien : Selon moi, il n’existe de dualité entre le monde des rêves et la réalité. Lorsque nous rêvons, nous sommes réellement éveillés au monde que l’on vit le jour. Nous sommes en permanence dans notre tête et ce qui se passe à l'intérieur de nous façonne la réalité. Le rêve est une double-vie, un monde que nous vivons de manière aléatoire mais qui nous dit que nous ne vivons pas également la réalité de manière aléatoire ? Mon art consiste à briser cette dualité entre les deux mondes afin d’exposer leur unité. Nous ne sommes pas endormis quand nous rêvons. Les déjà-vus sont un phénomène surprenant, je les perçois comme étant un moyen pour la conscience de se manifester le jour. Je les assimile à un glitch, une notification nous rappelant la présence de notre conscience.  

 

Ngalula MAFWATA : Parmi vos œuvres, il y en a une qui se démarque par ses couleurs brunies, Onz Avril, pouvez-vous nous en dire plus ?

Zilien : Cette toile, je l’ai réalisée alors que nous étions en pleine installation de l’exposition Papiers Gris à la galerie Imaaya à Maurice. J’ai utilisé un papier gris de récupération, habituellement destiné aux brouillons. L’idée m’est venue d’en faire une toile en jouant avec les teintes de ce papier et en travaillant uniquement au fusain, sans peinture ni couleurs, un matériau qui n’apparaît presque jamais dans mon travail habituel. Nous étions en plein montage de l’exposition, quand une image s’est imposée à moi. Je me suis assis et je me suis dit Je dois le faire maintenant. J’étais tellement absorbé par ce besoin de créer que j’en ai presque oublié tout le reste. En pleine journée, complètement déconnecté de ce que je devais faire, j’ai été moi-même surpris par cette impulsion.

On ressent dans cette œuvre une affection et une profondeur inhabituelles, liées à des couleurs que j’utilise rarement mais qui, finalement, ont trouvé un grand écho auprès du public. Beaucoup de visiteurs sont venus m’en parler. Cette toile, je l’ai simplement nommée selon la date de sa création. On peut dire que c’était La création du jour.

Onz avril, Charcoal on tinted paper, Zilien, 2025

Lorsque nous rêvons, nous sommes réellement éveillés au monde que l’on vit le jour. Nous sommes en permanence dans notre tête et ce qui se passe à l’intérieur de nous façonne la réalité.
— Zilien

Une figure récurrente au sein de votre œuvre sont ces sphères présentes dans vos toiles, quel sens leur donnez-vous ?

Zilien : Elles reflètent mon état d’esprit et me représentent : c’est moi qui voyage dans ces espaces. À travers elles, je mets en avant un univers onirique, mêlant le parfait et l’imparfait de ce que représente le corps humain — sans pour autant le figurer directement. C’est une façon pour moi de me détacher de l’anatomie. J’ai beaucoup réfléchi à la manière de traduire l’organique, l’humain et son caractère mouvant sans passer par la représentation classique du corps ou du visage. Cela m’a amené à interroger l’objet simple et pourtant intriguant qu’est le cercle, presque comme un disque volant, symbole d’un espace à explorer. Ces sphères ont pris une forme de maison dans mes toiles récentes.

L’inconscient est un élément central de nos vies, pourtant nous n’en avons souvent pas pleinement conscience. Des fragments de ces éléments émergent dans notre quotidien, que ce soit dans nos rêves nocturnes ou dans ceux de la journée.
— Zilien

Comment appréhendez-vous le fait d’exposer votre travail et de  de gérer votre image d’artiste, du moins ce que les gens peuvent en percevoir ?

Zilien : Au début, je n'étais pas serein du tout. J’avais conscience de me mettre à nu dans mon travail et d’une certaine manière appréhendais la réception. Je mets beaucoup de moi dans mon art. C’est une sorte de non-validation que je ne voulais pas affronter. Certes c’est une part mais l’autre pendant est le public et il est humain de se questionner quant à la réception. Ce sont des questions qui me sont venues une fois la phase de création terminée. Pour dire vrai, j’ai du mal avec le concept d’avoir une exposition solo consacrée uniquement à moi. Je me dis que les œuvres ne m’appartiennent plus, elles parlent au public d’elles-mêmes. Je n’ai pas eu à beaucoup m’expliquer pour finir, tant mieux ça respecte qui je suis. Je suis content que ce dont je voulais parler ait pu être mis et compris en image. 

 

L’imaginaire collectif aime attribuer un rôle à l’artiste, doit être commentateur de la société, de votre perspective, vous-êtes-vous donné un rôle, une mission ? 

 Zilien : Je n’ai pas de message particulier à transmettre ; je mets sur toile tout ce que j’ai traversé dans mon expérience humaine. Je trouve que cette simplicité touche les gens, car nous rêvons presque tous des mêmes scènes. J’en ai eu la conviction après avoir échangé avec différentes personnes qui s’étaient reconnues dans mes toiles et qui révélaient, en fin de compte, une expérience commune. Ces échanges me permettent de comprendre pourquoi je peins ce que je peins. Sans le public, je n’y parviendrais pas. Cela confirme que nous vivons presque tous la même chose et faisons partie d’un même tout, dans le sens universel, qui rejoint l’inconscient collectif. 

Qu’est-ce qui vous inspire de ces jours-ci ?

Zilien : Je vis toujours au pied de la montagne, entouré par la mer et les rivières. Certains lieux comme l’Afrique du Sud m’ont profondément marqué, tout comme les couleurs de Marseille où j’ai vécu entre 2021 et 2024. Ces paysages et ces nuances ont influencé mon travail, tout comme les rencontres que j’y ai faites.

Retrouvez le travail de Zilien sur VLFineArt ses espaces personnels. Les oeuvres de Zilien seront exposées lors de la prochaine édition de Art Shopping Paris au Carousel du Louvre du 16 au 19 octobre 2025.

Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com
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