Barry YUSUFU nous présente ses futurs classiques

Selon ses dires, le parcours de Barry Yusufu (né en 1996) a été des plus organiques. Il débute en 2017, en croquant les membres de sa famille et ses amis, avant de concrétiser plus de 35 expositions, dont plusieurs en solo, des œuvres acquises par de prestigieuses institutions, musées et collections privées. Voix artistique singulière de la scène contemporaine, Barry YUSUFU captive les publics du monde entier avec ses portraits audacieux de figures africaines, magnifiés par des tons lumineux de bronze et d’or. Yusufu a une mission : inscrire l’homme africain dans les musées, en réaffirmant sa véritable identité : royale, glorieuse, belle. Pour lui, il est temps de restaurer le Peuple du Soleil face aux falsifications de l’Histoire.

Barry YUSUFU

L’Esprit profond et contemplateur, Barry YUSUFU partage dans cet entretien ses réflexions avec Mayi Arts, alors que nous retraçons les étapes de son parcours artistique singulier. Né au Nigeria, l’artiste est actuellement basé à Londres, où il termine un master à la prestigieuse Central Saint Martins.

Ngalula MAFWATA, Mayì Arts : Qu’est-ce qui a éveillé votre intérêt pour la création artistique ?

Barry YUSUFU : Comme beaucoup d’autres, j’ai commencé à dessiner à l’école. Ce n’était pas vraiment sérieux à l’époque, je me concentrais surtout sur mes études. Mais après avoir obtenu mon diplôme, j’ai quitté la maison familiale pour me rapprocher d’Abuja, et c’est là que j’ai été confronté à la solitude. Quand on passe autant de temps seul, en tant qu’homme, on commence à analyser beaucoup de choses et à réfléchir à l’avenir, à ce que l’on porte en soi qui pourrait donner un sens, une forme de pertinence à sa vie. Je savais que je savais dessiner, alors un jour, j’ai pris un crayon et j’ai fait le portrait d’une amie. Elle était tellement enthousiaste en découvrant le résultat. Ce fut un de ces moments où j’ai compris que je pouvais faire plus avec mon travail, que j’avais le pouvoir de faire sourire les gens.
J’ai continué avec les portraits de mes proches : mes oncles, mes tantes, tout le monde. Cette impulsion ne faisait que grandir. Je voulais aller plus loin. Je voulais que ça devienne quelque chose de réel.

Ngalula MAFWATA, Mayì Arts : Comment avez-vous décidé de vous impliquer davantage et de franchir le pas ?

Barry YUSUFU : J’ai commencé à contacter des artistes en ligne, et j’ai finalement été introduit à un collectif en ligne appelé Draw Addicts à l’époque qui invitait les membres à partager leurs progrès pour recevoir des critiques constructives et s’améliorer. Cela m’a beaucoup aidé à améliorer mes compétences. Peu de temps après, mon ami, l’artiste Enoch Jr CHINWEUBA, qui vivait à Abuja, m’a présenté aux collectifs de la ville. C’est là que j’ai rencontré aussi Oliver OKOLO, entre autres.
Jusque-là, je ne comprenais pas vraiment ce que l’art pouvait devenir. Ils étaient déjà à des années-lumière de moi, réalisant des peintures monumentales pendant que je faisais encore des croquis au crayon. Rires. Je suis rentré chez moi encore plus motivé à travailler. C’était en 2017. L’année suivante, j’ai commencé à exposer à Abuja dans différents événements pop-up. En 2019, j’en avais fait plus de 15… sans aucune vente.

Pendant ce temps, j’essayais aussi de voir si je pouvais m’inscrire dans une université technologique. Avec le recul, c’était clairement une période chaotique : j’étais fauché, je n’arrivais pas à suivre le rythme, et j’ai fini par abandonner l’université. Je me suis dit que j’allais me consacrer entièrement à l’art. Il me restait quatre ans d’études, alors j’ai parié sur moi-même : si je consacrais ces quatre années à l’art, il était impossible qu’il n’en sorte rien… rires. Je suis rentré chez moi, j’ai commencé à peindre, avec cet état d’esprit : je vais travailler jusqu’à ce que ça fonctionne.

Il me restait quatre ans d’études, alors j’ai parié sur moi-même : si je consacrais ces quatre années à l’art, il était impossible qu’il n’en sorte rien… rires. Je suis rentré chez moi, j’ai commencé à peindre, avec cet état d’esprit : je vais travailler jusqu’à ce que ça fonctionne.
— Barry YUSUFU

Ngalula MAFWATA : À quel moment les choses ont-elles commencé à changer pour vous ?

Barry YUSUFU : En 2019, une femme nommée Joyous a approché mon ami Kalejaye TOSIN ; elle lui a proposé de présenter mon travail au Harlem Art Show, et bien sûr, j’ai accepté. Je n’avais même pas les moyens de payer l’envoi de mes œuvres, j’ai dû emprunter de l’argent à mon beau-père. Mais dès le deuxième jour du salon, elle m’a appelé pour me dire que toutes les œuvres avaient été vendues. C’était la toute première fois que je vendais un tableau.
Avant cela, même si les gens aimaient mon travail, ils n’achetaient pas. Beaucoup disaient qu’ils ne pouvaient pas accrocher le visage d’un autre chez eux à cause de certaines croyances, un ressenti assez courant chez les Nigérians.

Ngalula MAFWATA : Ce qui a dû être difficile, étant donné que votre pratique repose sur le portrait…

Barry YUSUFU : J’ai toujours aimé les portraits. J’ai toujours été fasciné par les visages, je crois qu’on peut raconter l’histoire de quelqu’un rien qu’en l’observant. La structure du visage, la couleur des yeux, la forme du nez… tout cela dit quelque chose, parfois même sur les origines d’une personne.
À l’époque, je ne connaissais rien au marché, encore moins à la tarification pour un public international. J’ai appelé un ami pour demander conseil : « Jusqu’où je peux aller ? » Il m’a suggéré de fixer les prix entre 1,500 et 3,000 dollars. J’ai suivi ses recommandations, et tout s’est vendu.
Quand Joyous m’a appelé pour me dire que toutes les œuvres avaient été vendues dès le deuxième jour, et qu’un collectionneur voulait en acquérir d’autres, je n’avais même pas encore réalisé que j’avais vendu quelque chose. Au début, je ne me souciais pas vraiment du collectionneur. Ce qui me touchait, c’était que mon travail ait été apprécié. Il insistait pour tout acheter. Mais pour moi, ce qui comptait, c’était que l’œuvre aille à la première personne qui s’y était connectée. Ce n’était pas une question d’argent. J’étais déjà ému qu’une personne voie suffisamment de valeur dans mon travail pour l’acheter. Ce moment avait une grande signification pour moi, surtout après mes expériences à Abuja.

Elle m’a ensuite représenté pendant deux ans, m’a permis d’accéder à de nouveaux publics, jusqu’à la Luce Gallery à Turin, où j’ai eu ma toute première exposition personnelle.
Par la suite, j’ai rencontré une femme à Lagos, Wunika Mukan qui a vu mon travail et m’a invité à participer à une exposition collective. Peu de temps après, on m’a présenté à Azu Nwagbogu, qui a montré un véritable intérêt pour ma pratique. Grâce à lui, j’ai été mis en contact avec Unit London, où nous avons monté une exposition, suivie d’une autre à Lagos avec la African Artists’ Foundation, qu’il a lui-même organisée.

J’ai toujours été fasciné par les visages, je crois qu’on peut raconter l’histoire de quelqu’un rien qu’en l’observant. La structure du visage, la couleur des yeux, la forme du nez… tout cela dit quelque chose, parfois même sur les origines d’une personne.
— Barry YUSUFU
Sisters in Act, Barry YUSUFU, 2024

Sisters in Act, Barry YUSUFU, 2024

Ngalula MAFWATA : Pouvez-vous nous raconter comment s’est opérée la transition du fusain au bronze, et en quoi votre identité et vos origines ont influencé vos choix artistiques ?

Barry YUSUFU : À l’époque, je travaillais essentiellement au fusain. J’ai reçu une commande pour une œuvre abstraite alors que j’étais encore à Abuja. J’ai acheté de la peinture acrylique et commencé à expérimenter, en la mélangeant au fusain. C’est là que ma technique a commencé à évoluer. Quand je suis tombé à court d’acrylique, je me suis demandé comment gérer les espaces négatifs dans mes toiles. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à utiliser du café. Je le faisais infuser, trempais mes pinceaux dedans, puis j’en appliquais des glacis sur le fusain. Cela donnait une teinte très particulière, comme une patine du temps. Quand on regarde les œuvres, on a presque l’impression de voyager à travers les époques.


Dès que j’ai dévoilé ces nouvelles toiles, l’accueil a été incroyable. La demande était telle que j’avais l’impression de produire de façon industrielle. Avec le recul, tout cela s’est fait de manière très organique. D’autres artistes ont rejoint le mouvement, et cela a fini par former un courant artistique.


Dans un moment de réflexion, je me suis posé cette question : dans cinq ou dix ans, qu’aurai-je apporté à mon peuple, au peuple africain ? Quelles histoires aurai-je racontées, et quel impact auront-elles eu ? J’ai réalisé que je ne peignais pas à mon plein potentiel. Je ne représentais pas mon peuple comme il méritait véritablement de l’être.

Je suis quelqu’un de très curieux, qui aime explorer. Un jour, en expérimentant encore, j’ai découvert une technique qui donnait à mes œuvres une finition tressée, presque métallique, évoquant le bronze. Et je me suis dit : c’est ça. Cette approche est devenue essentielle pour moi. En tant qu’Africains, nous sommes issus de la royauté. Dieu nous a bénis en abondance : la richesse de nos sols, la grandeur de notre héritage, des siècles d’innovation.
Peindre un homme noir dans une teinte bronze, c’est une manière de rendre visible cette noblesse, de revendiquer notre histoire et notre identité.


Je ne veux pas peindre un homme noir tel que le monde veut le voir. Je veux peindre l’homme noir tel que moi je le vois. Avant de quitter le Nigeria, puis de voyager aux États-Unis et ailleurs, je ne savais même pas qu’il y avait un “problème” avec la couleur de ma peau.
Donner cette teinte à mes personnages est devenu essentiel. Lorsqu’on regarde mes toiles, on se connecte à une présence humaine, au-delà de la couleur. La “noirceur” ne réside pas seulement dans la carnation, mais aussi dans les traits. Vous voyez un nez fort, des pommettes saillantes, vous reconnaissez une silhouette noire. Mais vous ne voyez pas la couleur en premier — et cela vous pousse à vous interroger : Pourquoi cette personne a-t-elle été peinte de cette façon ?

This created a very unique hue, almost like a patina of time. When you look at the paintings you almost get lost in time[...] Peindre un homme noir dans une teinte bronze, c’est une manière de rendre visible cette noblesse, de revendiquer notre histoire et notre identité.
— Barry YUSUFU
A heart to heart before we step out, Barry YUSUFU, 2023

A heart to heart before we step out, Barry YUSUFU, 2023

If the cactus pricks II, Barry YUSUFU, 2024

If the cactus pricks II, Barry YUSUFU, 2024

Ngalula MAFWATA : Y a-t-il eu d’autres influences qui ont marqué votre parcours ?

Barry YUSUFU : Je viens d’un milieu profondément religieux. En grandissant, j’ai remarqué que la seule fois où le Christ est décrit dans sa forme glorifiée, c’est avec une peau couleur bronze, des cheveux blancs comme de la laine, et des yeux comme du feu. Cette description se rapproche beaucoup plus de notre apparence, et pourtant, l’image dominante du Christ reste celle d’un homme blanc aux yeux bleus. Cela m’a fait réfléchir : ce que je fais a un but plus grand.
De l’extérieur, le passage du fusain aux teintes bronze peut sembler brusque. Mais en réalité, je ne montre jamais toutes les expérimentations que je fais en coulisses. Ce changement était aussi nécessaire pour moi, pour me détacher des tendances du moment et affirmer mon identité, représenter mon peuple comme il le mérite.
Je me souviens que ce changement a eu l’effet d’une gifle pour la galerie et les curateurs avec qui je travaillais à l’époque. Ils aimaient les visages noirs que je peignais jusque-là.

Le monde ne sait pas ce dont il a besoin avant que vous ne le lui donniez. Les gens ne savent pas qu’ils ont besoin de cette chose jusqu’à ce que vous leur montriez. C’est quelque chose avec lequel je suis d’accord.

Certaines galeries, curateurs, et même amis ont pris leurs distances lors de ce tournant. Mais pour moi, il ne s’agissait plus simplement de l’art ; c’était devenu une forme de protestation et d’activisme. Peut-être que notre génération ne l’acceptera pas entièrement, mais les enfants de demain se réveilleront et se verront reflétés de manière puissante et magnifique.

J’ai eu ma première exposition personnelle en utilisant cette technique avec la Luce Gallery, bien que nous ayons failli annuler : les gens se demandaient : « Pourquoi peignez-vous ces figures si grandes ? » Mais je voulais faire une déclaration. L’exposition s’appelait Behold, Sun’s People (Voici, le Peuple du Soleil), une manière de dire : Vous n’avez jamais vraiment vu ces gens avant. Et même si vous pensez l’avoir fait, pas de cette manière. Je présentais au monde le Peuple du Soleil. Au Nigeria, on nous apprenait toujours qu’en tant qu’homme noir, si vous vous exposez au soleil, vous devenez plus noir. Ce n’est pas vrai. Nous avons été placés en Afrique pour nous imprégner du soleil — c’est de là que viennent notre puissance et notre magnificence. Ils voulaient que nous nous cachions, que nous rétrécissions par rapport à ce que nous sommes. J’ai refusé cela. Sun’s People était ma manière de montrer qui nous sommes vraiment. J’ai peint les figures de manière minimaliste — pas de fleurs, pas d’ornementation sur le visage. Je voulais que la beauté brute des traits parle d’elle-même. Parmi les vingt peintures que j’ai créées pour l’exposition, dix-neuf ont été vendues le jour du vernissage. Puis Luce m’a appelé et a dit : « Barry, merci d’avoir été têtu. » (Rires) Plus tard dans la soirée, il m’a rappelé pour me dire que la dernière avait aussi été vendue, et l’exposition n’était même pas encore ouverte. Ce fut l’un de ces moments où je me suis dit : C’est une histoire importante que je raconte, et je dois continuer.

J’ai ensuite enchaîné avec une série d’expositions internationales, plus de trente-cinq, dont deux solos, et des œuvres acquises pour des collections privées et des musées. Et me voici aujourd’hui, poursuivant un Master sans avoir de diplôme de premier cycle. (Rires)

Ngalula MAFWATA : Il y a une certaine intemporalité dans vos œuvres. D’où cela vient-il ?

Barry YUSUFU : J’ai toujours été attiré par les choses anciennes. J’ai grandi dans une maison aux fondations très africaines, et mon beau-père avait une salle de cinéma remplie de cassettes vidéo. Nous regardions tellement de films, et j’étais exposé à un déluge d’images des années 80 et 90. Les couleurs de cette époque sont restées avec moi, elles font aujourd’hui une grande partie de mon langage visuel. Plus généralement, je suis inspiré par tout ce qui est ancien : de la musique aux palettes de couleurs, des traditions à l’architecture des anciennes maisons africaines avec leurs clôtures. Ce sont des choses que j’ai chéries enfant, et je me retrouve constamment à y revenir.

Ngalula MAFWATA : La confiance en soi et la foi en ce que vous faites semblent également jouer un rôle important dans votre parcours...

Barry YUSUFU : La vie telle que nous la connaissons repose sur le courage. Si vous ne comprenez pas profondément ce dans quoi vous vous apprêtez à vous engager, alors ne perdez même pas votre temps à y consacrer de l’énergie.
Et pour moi, si je veux faire quelque chose et que je vois la lumière et que je vois la vérité en cela, rien ne m’empêchera de l’explorer. Je le ferai, et peu importe combien de personnes me disent de ne pas le faire, il faut persévérer. J’ai toujours su que c’était la clé du succès. Vous pourriez faire quelque chose d’aussi simple que de taper des mains sur vos genoux, et un jour, quelqu’un pourrait arriver et vous payer pour cela, juste parce que vous y avez cru. Peu importe ce que vous faites ; ce qui compte, c’est que vous y croyez.

I wait to read from you, Barry YUSUFU, 2023

Ngalula MAFWATA : Vous êtes maintenant à Londres, en train de compléter votre Master à Central Saint Martins. Pensez-vous que ce changement d’environnement a visuellement remis en question ou influencé votre travail ?

Barry YUSUFU : Oui. Londres est une très belle ville. C’est l’une des meilleures villes que j’ai jamais visitées. L’architecture est magnifique, et la ville est très diverse. Je me plonge davantage dans la recherche, sur l’histoire, mais aussi sur les techniques, l’utilisation des pinceaux et l’architecture bien sûr, ainsi que le paysage, en essayant de trouver un moyen d’intégrer tout cela dans mon travail de manière à maintenir un équilibre clair. Au Nigeria, je peignais des histoires sur le Nigeria car c’est tout ce que je connaissais, et je ne suis pas un artiste qui se ment à lui-même : je ne peux pas peindre l’histoire d’un Afro-Américain, par exemple, parce que je ne peux pas m’y rapporter. J’ai donc toujours peint l’histoire des peuples africains, en fait, juste mes voisins, mes amis, ma famille. Dans Behold, Sun’s People, je voulais réaliser de grands portraits de personnes du quotidien, des gens qui n’auront peut-être jamais l’occasion de posséder un passeport ni de voyager de leur vie. J’ai choisi de peindre les gens autour de moi : l’homme de la lessive, le jardinier, des Nigérians ordinaires dont les visages passent inaperçus chaque jour. Mon objectif était de les placer dans les musées, de leur donner la visibilité et la dignité qu’ils méritent.

En venant à Londres et en poursuivant mes recherches, je sens ma pratique évoluer en coulisses. J’explore le concept de l’au-delà des Noirs. Pendant l’ère coloniale, les gens étaient considérés comme n’ayant pas d’âme et subissaient des expériences, des interventions chirurgicales sous l’illusion fausse que cela ne posait aucun problème, car ces gens n’ont pas d’âme et ne ressentiront aucune douleur.

Aujourd’hui, je remarque que certains Africains ne se sentent pas dignes du salut. C’est quelque chose qui, selon eux, est réservé à l’homme blanc. Pendant des siècles, les systèmes qui ont façonné notre monde ont utilisé l’art et la représentation visuelle pour construire des récits de valeur, d’humanité et de pouvoir. Tout ce que nous avons connu a été façonné à travers l’art et la représentation visuelle, et je crois que ce sont uniquement les images qui peuvent récupérer ce qui a été pris. À travers mon art, j’essaie de donner une âme à l’homme noir. De le rendre digne. En même temps, je me pose la question : l’homme noir n’est-il vu comme pertinent que lorsqu’il est peint à l’image de la blancheur ?

Dans cette nouvelle quête, j’explore comment trouver un équilibre et peindre les expériences pré et post-coloniales ensemble. L’art est censé englober toutes ces époques. Mon prochain ensemble d’œuvres, Between Two Worlds, présente ces figures en bronze d’un côté et ce à quoi elles ressembleraient dans l’au-delà. Pour le bien de la représentation visuelle et de l’ancrage dans l’esprit collectif de l’homme noir, cela représente moi à travers les royaumes, et j’ai bien une âme. Un moyen de récupérer les âmes perdues des Africains.

Debayo, Barry YUSUFU, 2021

Ngalula MAFWATA : Je me demande si c'est la raison pour laquelle la prière a une place centrale dans de nombreuses cultures ...

Je suis un fervent croyant, mais je dirai une chose : le moment où vous avez tout ce dont vous avez besoin en tant que peuple, une bonne infrastructure, un réseau, la sécurité, l’électricité, voyons combien vous pouvez encore croire en Dieu. Lorsque vos besoins fondamentaux sont satisfaits, c’est là que commence le véritable test. Si vous êtes à l’aise et que vous tenez toujours à votre Dieu, c’est là le véritable test.
— Barry YUSUFU

Ngalula MAFWATA : Quelles ont été les expériences les plus gratifiantes depuis que vous avez embrassé le parcours artistique ?

Barry YUSUFU : Ma rencontre avec l'art a été l'une des plus grandes bénédictions de ma vie. Au-delà des expositions, des collaborations et de la reconnaissance, le véritable cadeau réside dans la manière dont l'art change votre vision. Être artiste, c'est voir le monde d'une manière que personne d'autre ne le voit, et vous pouvez peindre le monde dans lequel vous aimeriez vivre. C'est la première bénédiction. L'art m'a sauvé. J'étais très déprimé et presque suicidaire à un moment donné. Il m'a aidé à trouver l'équilibre et m'a appris une grande discipline, de la patience et de l'attention aux détails. Il m'a aussi forgé en tant qu'homme que j'espérais devenir, celui que j'avais toujours imaginé pour moi-même.

Ngalula MAFWATA : Comment naviguez-vous dans votre monde intérieur avec la réalité de ce monde ?

Barry YUSUFU : Je suis une personne très réfléchie, toujours en train de penser et de sur-analyser les choses. En général, ce qui me pousse à créer, ce sont ces questions sans réponse qui m'affectent profondément. Vous pouvez voir de nombreuses figures féminines dans mon travail et cela vient du fait que j'ai grandi dans une famille de femmes. Ma mère, une femme merveilleuse, a donné sa vie pour s'occuper de cette famille, de même pour mes sœurs. Peindre des femmes est une manière d'honorer la force et la beauté d'une femme. Bien sûr, les hommes sont forts physiquement, mais la force d'une femme peut définitivement occuper l'espace de n'importe quel homme.

Mon dialogue intérieur guide ma manière de peindre. Pourquoi a-t-il été si important de soumettre l'homme noir, d'effacer toute forme de représentation africaine ? Ce sont des questions auxquelles je continue de réfléchir à travers mon travail. En pensant à notre histoire et nos cultures riches, alors que le commerce des esclaves a été surtout enseigné, c'est la seule histoire de l'homme noir et ce n'est pas de là que nous venons. Dans mon travail, je cherche des personnes qui portent une histoire que je veux raconter. Et pour moi, cela a été facile car chaque Africain porte des histoires similaires, chaque Nigérian porte des histoires similaires et si je peins un Nigérian, je peins aussi mon histoire. Nous ne sommes que des miroirs les uns des autres, nous venons tous des mêmes gouvernements oppressifs, des mêmes systèmes et chacun traverse les mêmes luttes, mais dans des dynamiques différentes. Je suis tout ce que j'ai peint.

Barry YUSUFU in his studio

Ngalula MAFWATA : Est-ce difficile de laisser partir votre travail, après avoir passé autant de temps avec et sur vos oeuvres et ces visages ?

Barry YUSUFU : Quand j'ai commencé, je n'aimais pas vendre mes œuvres et les laisser quitter mon espace. (Rires) Maintenant, huit ans plus tard, je m'y suis habitué et j'espère qu'elles sont entre de bonnes mains. Embrasser l'art comme parcours professionnel, tu dois absolument trouver l'équilibre. Et en tant qu'artiste, plus tu crées, plus tu donnes au monde, plus tu reçois et plus tu deviens créatif. Si tu t'accroches à quelque chose que tu as créé, ce n'est pas la meilleure version de toi-même. La meilleure version de toi-même, c'est lorsque tu es capable de laisser partir cette chose, cela engendre plus de créativité. C'est comme un canal, tu continues à taper et à en sortir.

Retrouvez le travail de Barry YUSUFU sur ses espaces personnels

Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com
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