Abdoulaye SOW, de la guérison à l’Art : ‘La nature nous enseigne.’
L’art d’Abdoulaye SOW est à la fois une ode à la nature et un hommage aux savoirs ancestraux. Utilisant des pigments extraits de la plante Mbant Maré, un remède naturel qui l’a autrefois guéri, SOW explore l’essence de l’existence humaine et nous invite à nous reconnecter à la Terre, source essentielle de sagesse. Profondément inspiré par Mère Nature, l’artiste puise encore davantage dans la figure de sa propre mère, dont la présence et les enseignements ont marqué durablement son identité artistique. Diplômé de l’École Nationale des Arts de Dakar (ENA), ses travaux ont été présentés lors de la dernière édition de la Biennale des Arts Africains Contemporains de Dakar Dak’Art OFF. La guérison se trouve dans la nature, nous rappelle-t-il. Nous devons l’embrasser, aux côtés de la spiritualité, pour atteindre un état de conscience supérieur.
Abdoulaye SOW
Dans cet entretien exclusif, nous rencontrons Abdoulaye SOW à la suite de sa résidence réussie avec Thread. L’artiste sénégalais nous dévoile une œuvre profondément enracinée dans la nature et l’introspection silencieuse.
Ngalula MAFWATA : Comment avez-vous découvert votre langage artistique ? Y a-t-il eu des expériences ou des personnes qui ont éveillé votre désir de créer ?
Abdoulaye SOW : J’ai découvert mon langage artistique à travers une expérience profondément personnelle et marquante liée à mon enfance. Dès mon plus jeune âge, j’étais régulièrement atteint de paludisme, ce qui affaiblissait considérablement ma santé, au point d’être hospitalisé chaque année à la veille de la rentrée scolaire. Ma mère, dans sa sagesse et son amour, a un jour eu recours à un remède naturel à base de Cassia Occidentalis, une plante médicinale connue localement sous le nom de « Mbant Maré ». Ce remède a eu un impact transformateur sur ma santé, et a marqué en moi un tournant. Cette guérison par les plantes, transmise de mère en fils, a éveillé en moi le désir de comprendre, de valoriser et de transmettre ces savoirs à travers l’art. Mon langage artistique est donc né à la croisée de la mémoire familiale, de la souffrance vécue et de la résilience retrouvée. Il s’est peu à peu forgé autour d’un engagement : celui de créer des œuvres qui relient l’art à la santé publique, à la nature et aux savoirs ancestraux africains. Je rends hommage à ma mère (Paix à son âme, Que la terre lui soit légère) à travers chaque création. Elle est, pour moi, la première source d’inspiration, la première médiatrice entre la nature et le soin, et la première femme artiste du quotidien qui m’ait transmis une vision du monde profondément humaine, enracinée et réparatrice.
Ngalula MAFWATA : Votre pratique entretient un lien fort avec la matière, en particulier la terre. Que représente-t-elle pour vous, comment s’intègre-t-elle dans votre processus créatif ?
Abdoulaye SOW : La terre occupe une place symbolique très forte dans ma démarche, même si je ne l’intègre pas directement dans mes œuvres. Je ne travaille pas la terre en tant que matière artistique, mais je m’en rapproche à travers ce qu’elle produit : des pigments naturels, des matières organiques issues de la plante médicinale le Cassia Occidentalis « Mbant Maré ». C’est la terre qui nourrit cette plante essentielle dans mon travail. Je la cultive notamment en hors-sol, ce qui me permet d’expérimenter un dialogue entre nature, savoirs ancestraux et technologies agricoles contemporaines. Dans ce sens, la terre est présente dans mon processus de manière indirecte mais fondamentale. Elle est une source de vie, de guérison, de mémoire. Elle n’est pas utilisée comme matière plastique, mais comme matrice nourricière de mon engagement artistique et social. Chaque capsule que j’intègre dans mes œuvres contient une trace de cette relation invisible à la terre – à travers la plante, les graines, les feuilles ou les extraits. Elle devient ainsi un élément symbolique, presque spirituel, dans mon langage artistique.
Abdoulaye SOW
Ngalula MAFWATA : Pouvez-vous nous en dire plus sur les techniques que vous utilisez ? Les formes, textures et messages dialoguent dans au sein de vos œuvres ?
Abdoulaye SOW : J’utilise principalement des pigments naturels, de l’acrylique et des éléments issus du Mbant Maré, comme les feuilles, les graines ou les extraits séchés. Ces matières sont parfois intégrées dans des capsules transparentes, qui rappellent les formes des médicaments, pour symboliser un autre type de soin : celui par les plantes. Les textures, les couleurs naturelles et les matériaux organiques me permettent de faire passer des messages liés à la guérison, à la mémoire et à la nature. Je cherche à créer un équilibre entre l’énergie libre de l’abstraction et des détails qui attirent l’attention sur la plante et son importance. Chaque œuvre est comme un message visuel, une manière de faire réfléchir sur la médecine traditionnelle et notre lien à la nature.
Ngalula MAFWATA : Certaines de vos œuvres évoquent une connexion particulière avec la spiritualité et la quête du moi intérieur, pouvez-vous en dire davantage ?
Abdoulaye SOW : Oui, Alhamdulillah ! Ma spiritualité occupe une place centrale dans ma vie et dans ma démarche artistique. Elle m’a permis de traverser des épreuves très dures, parfois invisibles aux yeux du monde, mais profondément destructrices. Grâce à ma foi et à ma certitude intérieure, j’ai pu me protéger de certaines violences psychologiques, physiques, morales, mentales, causées par des destructeurs lâches, des hommes de l’enfer. Formés et dotés de technologies pour protéger, ils ont pourtant choisi, par lâcheté, de détourner leur mission en sale besogne. Des situations injustes, violation de vie privée et de comportements malveillants dont j’ai moi-même été victime. Dans ce contexte, l’art est devenu pour moi un refuge, un outil de résistance intérieure et un chemin vers la paix. C’est à travers la création que j’ai pu me reconnecter à moi-même, me recentrer, et transformer cette douleur en quelque chose de lumineux. Mes œuvres parlent souvent de guérison, d’équilibre, de lumière intérieure, parce que je sais ce que c’est que de frôler la perte de soi, d’être attaqué dans son intimité ou sa dignité. La spiritualité me donne une force silencieuse. Elle me guide, m’élève et me permet de créer depuis un espace de paix malgré tout. C’est cette énergie, cette foi en la vie et en la justice divine, que j’essaie de transmettre à travers mon travail.
“Mes œuvres parlent souvent de guérison, d’équilibre, de lumière intérieure, parce que je sais ce que c’est que de frôler la perte de soi, d’être attaqué dans son intimité ou sa dignité. La spiritualité me donne une force silencieuse. ”
Mères, pigments naturels sur toile, 70 × 120 cm ×2, Abdoulaye SOW, 2025
Ngalula MAFWATA : Vous parlez souvent d’attraction positive, de transformation intérieure, de croissance personnelle. Comment ces principes nourrissent-ils votre démarche artistique ?
Abdoulaye SOW : Quand j’ai lancé ma carrière artistique, j’ai commencé par explorer le thème de la résilience humaine. Depuis très longtemps, je traverse des situations difficiles. Mais je refuse de me positionner en victime, car je n’aime pas cette posture. Face aux épreuves, j’ai compris que j’avais deux choix : soit je laissais ces horreurs prendre place en moi dans mon corps, mon esprit au risque de devenir moi-même une source d’agressivité, voire de violence... soit je choisissais une autre voie. Une voie plus exigeante, mais plus lumineuse. J’ai pris le temps de réfléchir profondément à qui je suis, à mes valeurs et principes, à mes origines. Et j’ai fait le choix de l’interprétation positive. Plutôt que de rester enfermé dans mes douleurs, j’ai appris à m’en détacher. Mentalement, je sors de mon environnement immédiat, je prends de la hauteur, je visualise mon avenir, ma future famille, mes projets, un monde de paix, de joie, d’amour, d’entraide. Notre passage sur Terre est éphémère, je veux utiliser l’art comme un outil de transformation intérieure et de projection positive. Dans mes œuvres, j’essaie de transmettre cette énergie : une énergie d’espoir, de renouveau, de vision. Je travaille avec des matières naturelles, des couleurs vibrantes, et des symboles qui éveillent la force intérieure. L’art devient ainsi un moyen de guérir, de grandir, de rêver, malgré les obstacles.
Ngalula MAFWATA : Vous avez récemment présenté des travaux mettant en lumière l'acte de guérir et de se soigner - notamment Mères, pouvez-vous en dire davantage ?
Abdoulaye SOW : Oui, l’œuvre “Mères” est très importante pour moi. Elle rend hommage à ces femmes qui, dans l’ombre, prennent soin des autres sans relâche. Je pense en particulier à ma propre mère (paix à son âme), qui a joué un rôle central dans ma guérison grâce à un remède naturel, le Mbant Maré. Cette œuvre parle de la force silencieuse des femmes, de leur dévouement, de leur rôle essentiel dans la transmission des savoirs liés à la santé et à la guérison. À travers elle, je voulais honorer toutes les mères, les guérisseuses du quotidien, celles qui soignent avec leurs mains, leurs plantes, leur amour. Plus largement, cette série d’œuvres interroge notre lien à la nature, au soin, à la mémoire et au corps. Je veux montrer que guérir ne passe pas seulement par la médecine moderne, mais aussi par les traditions, les émotions, et l’énergie que l’on transmet à travers les gestes simples. L’acte de soigner devient ainsi un acte spirituel, humain, artistique. Il ouvre un espace de reconnaissance, de paix, et de transformation.
“Mon objectif est de montrer que la nature détient des réponses, et qu’il est essentiel de revaloriser notre patrimoine végétal. Chaque œuvre devient ainsi un acte de mémoire, de reconnaissance, et un appel à repenser notre rapport au soin, à la terre, à nos racines. ”
«Mbant Maré 2» Triptyque 60 × 90 cm ×3, Pigments naturels, acrylique, capsules plante médicinale sur toile, Abdoulaye SOW, 2025
«Mbant Maré 1» Diptyque 40 × 60 cm ×2, Pigments naturels, acrylique, capsules plante médicinale sur toile, Abdoulaye sow, 2025
Ngalula MAFWATA : Vous travaillez avec le Cassia Occidentalis, une plante liée à la lutte contre le paludisme. Comment cette plante est-elle entrée dans votre recherche, que cherchez-vous à transmettre à travers elle ?
Abdoulaye SOW : Le Cassia Occidentalis, qu’on appelle aussi Mbant Maré chez moi, fait partie de ma vie depuis l’enfance. C’est cette plante qui m’a permis de guérir du paludisme, une maladie que je contractais chaque année. Ma mère l’a utilisée pour me soigner alors que la médecine classique ne suffisait plus. Cette expérience a marqué un tournant dans ma vie. En tant qu’artiste, j’ai voulu lui rendre hommage, mais aussi ouvrir un dialogue plus large sur l’importance des plantes médicinales africaines. J’ai donc commencé à l’intégrer dans mon travail artistique, non pas comme une simple expression esthétique, mais comme une matière vivante, pleine de sens. À travers elle, je parle de guérison, de transmission de savoirs ancestraux, de résilience, mais aussi d’autonomie sanitaire pour les communautés africaines. Mon objectif est de montrer que la nature détient des réponses, et qu’il est essentiel de revaloriser notre patrimoine végétal. Chaque œuvre devient ainsi un acte de mémoire, de reconnaissance, et un appel à repenser notre rapport au soin, à la terre, à nos racines.
Abdoulaye SOW
“Plutôt que de rester enfermé dans mes douleurs, j’ai appris à m’en détacher. Mentalement, je sors de mon environnement immédiat, je prends de la hauteur, je visualise mon avenir, ma future famille, mes projets, un monde de paix, de joie, d’amour, d’entraide. Notre passage sur Terre est éphémère, je veux utiliser l’art comme un outil de transformation intérieure et de projection positive.”
Ngalula MAFWATA : Qu’avez-vous appris de la nature et de la santé à travers ton travail artistique ? Que devons-nous apprendre collectivement ?
Abdoulaye SOW : À travers mon travail artistique, j’ai appris que la nature est une source de soin, de sagesse et de vérité. Elle ne donne pas seulement des plantes ou des remèdes, elle nous enseigne la patience, l’équilibre, le respect du rythme de la vie. En travaillant avec des éléments naturels comme le Mbant Maré, j’ai compris que la santé ne dépend pas seulement des hôpitaux ou des médicaments modernes. Elle vient aussi de notre lien au vivant, à nos traditions, à notre alimentation, à notre manière de penser et d’habiter le monde.
Collectivement, je pense que l’on doit réapprendre à écouter la nature, à faire confiance à nos savoirs anciens, à valoriser les pratiques locales. Il ne s’agit pas d’être contre la médecine moderne, mais de rétablir un équilibre. L’art peut jouer un rôle important dans cette prise de conscience. Il permet d’ouvrir les yeux, de toucher les cœurs, de transmettre autrement. Mon espoir, c’est qu’à travers mes œuvres, chacun puisse se poser des questions, se reconnecter à l’essentiel, et contribuer à un avenir plus sain et plus solidaire.
Ngalula MAFWATA : Quelles valeurs souhaitez-vous mettre en lumière à travers votre quête artistique ?
Abdoulaye SOW : À travers mon art, je souhaite mettre en lumière des valeurs profondes comme la résilience, la transmission, le respect de la nature, et l’espoir. Je veux aussi valoriser l’héritage africain, les savoirs ancestraux, en particulier ceux liés à la guérison naturelle. Ces connaissances ont souvent été négligées, pourtant elles portent en elles une grande sagesse. Mon travail parle aussi d’amour, l’amour de soi, de la famille, de la vie et d’humanité. Je crois que l’art peut soigner, éveiller les consciences, rassembler les gens autour de valeurs simples mais essentielles : la paix, la solidarité, le respect de l’autre et de notre environnement. En résumé, ma quête artistique est guidée par une envie de créer du sens, d’inspirer, et de participer à un monde plus juste, plus équilibré et plus conscient.
Ngalula MAFWATA : Quels sont vos sujets d’études du moment ?
Abdoulaye SOW : En ce moment, je continue d’approfondir mes recherches autour de la plante médicinale Cassia Occidentalis, notamment ses usages traditionnels, ses vertus thérapeutiques et sa symbolique dans différentes cultures africaines. Je m’intéresse aussi à la manière don’t l’art peut participer à des questions de santé publique, en particulier à travers la sensibilisation à des remèdes naturels et à la revalorisation des savoirs oubliés.
En parallèle, j’étudie comment combiner des éléments scientifiques (comme la culture hors-sol, l’observation des principes actifs des plantes) avec une approche artistique et symbolique. Je travaille également sur de nouvelles formes d’installations qui intègrent des capsules, des matériaux vivants et des éléments sensoriels, pour créer une expérience immersive autour de la guérison, de la mémoire, et du soin. Mon objectif est de faire évoluer mon langage artistique tout en gardant ce lien fort entre art, nature, et engagement social.
Retrouvez le travail de Abdoulaye SOW sur ses espaces personnels.