Au cœur de l’art de Manyaku Mashilo : un voyage à travers la féminité sacrée
La culture de l’héritage s’impose d’emblée à la vue des œuvres de Manyaku Mashilo (née en 1991). Sa maîtrise des éléments, des textures et des couleurs puise directement dans une enfance passée dans le village reculé de ses parents d’Afrique du Sud, où la vie quotidienne des femmes était guidée par la communauté et l’intention. Aujourd’hui exposée pour la première fois en solo à Los Angeles dans l’exposition The Laying of Hands, Manyaku Mashilo présente un ensemble d’œuvres saisissant, qui célèbre la force du collectif, la féminité et la spiritualité. Une exposition à ne pas manquer : mystérieuse, magnétique et profondément enracinée.
Manyaku Maashilo, Courtesy of Hayden Phipps/Southern Guild.
Dans cette interview, Manyaku Mashilo partage les réflexions profondes et le processus créatif derrière ses dernières œuvres, présentées dans The Laying of Hands à la galerie Southern Guild de Los Angeles. Elle y livre une compréhension plus intime des inspirations qui nourrissent sa pratique, révélant les strates de sens qui habitent son puissant langage visuel.
Ngalula Mafwata : Un ensemble d’émotions et de sensations nous enveloppe lorsqu’on découvre votre travail : puissance, paix, mais aussi mystère, on pourrait presque en deviner les sons et les parfums. Comment décririez-vous personnellement l’essence de votre œuvre ?
Manyaku Mashilo : Lorsque je crée, je suis entourée de musique, de parfums, d’images et de couleurs qui m’ancrent et me rappellent d’où je viens. Mon atelier est intentionnellement habité par ces talismans. Il y a une forme de nostalgie que ces objets et éléments éveillent en moi, et qui guide mon processus. Je crois que l’énergie dont je m’entoure s’insuffle naturellement dans mon travail, de manière subconsciente. C’est très fort pour moi d’entendre que ces émotions traversent les œuvres et sont perçues par celles et ceux qui les regardent.
Ngalula Mafwata : La créativité est souvent décrite comme une forme d’intelligence, une manière singulière de voir et de ressentir le monde. À quel moment avez-vous compris que vous étiez artiste, et quelles ont été les influences clés qui ont façonné votre regard ?
Manyaku Mashilo : J’ai grandi dans le Limpopo rural, à une époque où l’Afrique du Sud vivait sous le joug brutal de l’Apartheid. Mon père tenait à ce que nous passions beaucoup de temps dans le village, auprès de ma grand-mère et des anciens. Enfants, nous vivions dans un lieu qui avançait lentement, collectivement — où chaque geste était animé par l’intention de soutenir et faire grandir la communauté. Je regardais ma grand-mère œuvrer à la guérison des siens, aider les autres à construire leurs abris, leur apprendre à cultiver leur propre terre. C’était un immense privilège, au regard de ce qui se passait ailleurs dans le pays.
Dans le village, la vie se comprend et se transmet par les récits, la spiritualité et les mythologies. Cette enfance a profondément façonné ma perception du monde et mon travail. À travers mes œuvres, je crée un espace où ces savoirs, ces systèmes de connaissance et ces rituels peuvent persister, être racontés et transmis, encore et encore.
.
Manyaku Mashilo, Courtesy of Matt Dutile/Southern Guild.
“À travers mes œuvres, je crée un espace où ces savoirs, ces systèmes de connaissance et ces rituels peuvent persister, être racontés et transmis, encore et encore.”
FÉMININ SACRÉ
Ngalula Mafwata : Les femmes occupent une place centrale dans vos peintures — souvent représentées en groupe, et parfois à travers une forme d’auto-représentation. Qui sont-elles pour vous ?
Manyaku Mashilo : Les personnages présents dans mes œuvres sont imaginés. Ils sont réels, mais aussi irréels. Ils existent dans mon univers, et parfois aussi dans le monde réel. Ce qui m’importe avant tout, c’est le rôle qu’ils jouent sur la toile. Elles sont là pour séduire, captiver, attirer le regard par leur regard direct, sans détour. Leur présence vise à éveiller une curiosité chez le spectateur : dans quel monde vivent-elles ? Qui sont-elles ? Ce regard est aussi une manière de se protéger, elles-mêmes et les autres figures qui les entourent.
Ces personnages incarnent et rendent hommage à l’énergie féminine dans laquelle j’ai grandi. Parfois, ils deviennent des alter ego — des figures à travers lesquelles je peux loger et explorer des expériences ou des récits que je ne parviens pas à formuler autrement.
We came unafraid and willing to stay, Acrylic, ink, red ochre on canvas, Manyaku Mashilo, 2024, Courtesy of Lea Crafford/Southern Guild.
Ngalula Mafwata : Votre travail explore depuis longtemps la cosmologie, les rituels et les traditions. Pourtant, dans cette nouvelle série, on perçoit une connexion plus marquée aux éléments terrestres. Qu’est-ce qui vous a menée vers cette évolution ?
Manyaku Mashilo : Mon expérience et ma compréhension de la cosmologie, du rituel et de la tradition sont entièrement ancrées dans les éléments terrestres. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un réel changement, mais plutôt d’un approfondissement de cette exploration. L’inclusion des éléments terrestres a toujours été un moteur essentiel de ma pratique. Ces éléments collaborent avec moi, guident mon intuition et m’amènent à de nouvelles compréhensions du monde et de moi-même.
Ngalula Mafwata : Le titre de l’exposition porte déjà en lui une dimension spirituelle et une idée de transmission. Qu’est-ce qui vous a attirée vers le symbolisme des mains, et quelle puissance avez-vous voulu transmettre à travers ce geste ?
Manyaku Mashilo : Le titre de l’exposition fait référence à un rituel auquel j’ai assisté dans mon enfance. Des personnes se rassemblent en cercle autour de vous et posent leurs mains sur vous, comme une manière de transmettre collectivement de l’énergie et d’offrir une guérison.
J’ai vu mes mères utiliser leurs mains en permanence : pour prendre soin de nous, pour fabriquer des choses pour nous, pour cultiver la terre. Leur langage d’amour et d’attention se manifestait à travers le travail de leurs mains.
Lorsque je pense au savoir féminin, les mains apparaissent comme un motif récurrent et profondément significatif. Elles parlent de toucher, de soin, d’intention, de labeur et de lien.
ÉLÉMENTS ET COULEURS
Ngalula Mafwata : Vos représentations de femmes semblent profondément liées aux matériaux et aux couleurs que vous utilisez — comment cette relation évolue-t-elle dans The Laying of Hands ?
Manyaku Mashilo : La couleur et la matérialité ont une portée symbolique forte dans ma culture. Elles révèlent d’où l’on vient et à quelle étape de sa vie spirituelle on se trouve. L’argile occupe une place importante dans cette série, inspirée de la cérémonie de passage à l’âge adulte appelée koma, destinée aux jeunes filles Sepedi. Chacune de mes figures est enveloppée de peinture rouge mêlée d’ocre, en référence au letsoku, une pâte traditionnelle à base d’ocre rouge, d’argile et de graisse animale. Cette pommade est appliquée sur le corps des jeunes femmes pendant cette période sacrée, sous la supervision des matriarches. Le pigment envoie un message à la communauté : celui de garder ses distances, de laisser à cette jeune femme l’espace nécessaire pour vivre ce moment sans interférences ni influences extérieures.
Ngalula Mafwata : Le rouge est omniprésent dans les œuvres de cette exposition, mais il constitue aussi un fil conducteur dans l’ensemble de votre pratique. Quelle puissance lui attribuez-vous ?
Manyaku Mashilo : J’ai déjà évoqué la signification particulière du rouge et sa connexion au rituel du koma. Au-delà de cette connotation, je pense qu’il y a quelque chose de primal, de dynamique, de vivant dans cette couleur. C’est la couleur de l’argile, de la terre riche en minéraux, du sang et du feu. Elle évoque à la fois l’amour, le danger, la destruction, la sensualité et la mortalité.
Ngalula Mafwata : Dans cette série, on remarque également l’apparition du bleu, notamment à travers des bâtons et des points disséminés dans les œuvres. Que représente cette couleur pour vous ?
Manyaku Mashilo : J’ai une photo de ma grand-mère portant une blouse de travail bleue. C’est un vêtement porté par de nombreux ouvriers sud-africains, notamment ceux qui travaillent en usine. Ma grand-mère maternelle travaillait dans l’une de ces usines. Pour moi, cette couleur incarne le soutien, la résilience et le labeur. Elle évoque aussi le travail que mes ancêtres ont accompli pour ce pays, pour leurs familles, et pour moi.
Held by the Sky II, Acrylic, ink, red ochre on canvas, Manyaku Mashilo, 2024, Courtesy of Lea Crafford/Southern Guild.
“Ma pratique explore des moyens de préserver et de matérialiser des systèmes de savoirs ancestraux, des rituels, des symboliques que je crois menacés de disparition. J’aimerais penser que ce travail peut être lu à la fois comme un acte de préservation et comme une projection de ce que le futur pourrait être.”
Ngalula Mafwata : Le lepara apparaît comme un symbole récurrent dans votre travail. Que représente-t-il dans le contexte de la guérison et de la protection ?
Manyaku Mashilo : Le lepara est un bâton transmis au chef de famille ou aux guérisseurs des communautés. Ce bâton de bois sculpté est chargé de prières et d’intentions adressées à celui qui le détient. Mon père en a reçu un de son propre père lorsqu’il a acquis sa première maison. Il était suspendu au mur de notre maison et représentait un symbole de protection pour notre famille. En grandissant, j’ai toujours été fascinée par la manière dont les intentions, les vœux, les croyances peuvent être représentés et contenus énergétiquement dans des objets. Chaque fois que vous le regardez, vous savez qu’il incarne un espoir collectif, une foi commune dans la longévité et la sécurité de votre foyer et de votre famille. J’espère pouvoir hériter de ce bâton un jour.
Ngalula Mafwata : La transmission occupe une place centrale dans votre travail. Considérez-vous cette série comme un acte de préservation culturelle ou comme une réinvention du futur ?
Manyaku Mashilo : Ma pratique explore des moyens de préserver et de matérialiser des systèmes de savoirs ancestraux, des rituels, des symboliques que je crois menacés de disparition. J’aimerais penser que ce travail peut être lu à la fois comme un acte de préservation et comme une projection de ce que le futur pourrait être. Le monde semble traverser une crise profonde, une période de blessure. Ces sagesses anciennes, nos manières de nous relier les uns aux autres et à la terre, ces gestes de soin envers nos communautés — je crois que ces pratiques culturelles tracent un chemin pour survivre et reconstruire.
Pour en savoir plus sur Manyaku Mashilo, rendez-vous sur ses plateformes personnelles ou sur www.southernguild.com