1-54 New York Confessions : Filafriques racontée par Carine Biley et Gavin Goodman
À 1-54 à New York, Filafriques a signé une présentation remarquée, réunissant les œuvres de Gavin Goodman et Ousmane Dia, deux artistes plaçant la femme au cœur de leur création. Un dialogue artistique qui a rencontré un vif succès. Nous avons profité de l’occasion pour rencontrer Carine Biley, fondatrice de Filafriques, ainsi que l’artiste Gavin Goodman présents sur place, afin d’échanger autour de la création, mais aussi des fondations de l’écrin genevois qu’est Filafriques et des transformations du marché de l’art contemporain africain.
Carine Biley et Gavin Goodman Filafriques à 1-54 New York 2025
On perçoit une douce harmonie entre Carine Biley fondatrice de la galerie Filafriques et Gavin Goodman photographe originaire de l’Afrique du Sud présents à la foire 1-54 New York. Dans cette conversation avec Mayi Arts, Carine Biley et Gavin Goodman nous partagent les secrets de leur rencontre tout en parcourant la vision unique de Filafriques.
Ngalula MAFWATA : Comment est née votre rencontre puis collaboration ?
Gavin GOODMAN : Carine et moi nous sommes rencontrés peu après que j’ai remporté le prix Hasselblad Master dans la catégorie Fine Art en 2021. Mon travail avait bénéficié d’une résonance large à ce moment. Même si j’avais toujours eu un regard sur les Beaux Arts, à ce moment-là j’étais davantage ancré dans mes collaborations commerciales, conscient également de la petitesse du marché de l’art à Cape Town. Je ne poursuivais pas activement les galeries ni ne cherchais à exposer plus que ça.
Carine BILEY : Totalement, j'avais remarqué sa série Luhlaza et immédiatement ai cherché à ce que nous nous rencontrions.
Gavin GOODMAN : Lorsque Carine m’a approché, j’ai d'emblée aimé sa démarche et le fait qu’elle travaille exclusivement avec des artistes originaires de l’Afrique. Je me suis donc dit pourquoi pas. Depuis trois ans que nous travaillons ensemble désormais, je peux dire que j’apprécie notre dynamique et connection. Je lui attribue également ma curiosité et volonté d’explorer de nouveaux champs créatifs dans ma pratique artistique. Elle m’a ouvert les yeux sur bon nombre d’opportunités mais également influencée ma perception. Je suis ravi de faire partie de l’aventure Filafriques. Je pense que les choses arrivent au bon moment. Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, le timing n’était pas idéal. Cependant, aujourd’hui, notamment après 1-54 New York, je ressens un véritable feu intérieur qui me pousse à continuer de créer. Je tire une satisfaction différente à gagner de l’argent grâce à mon travail artistique, surtout en comparaison avec mes collaborations commerciales, souvent soumises à de nombreuses politiques internes et influences extérieures. Je suis enthousiaste à l’idée de découvrir ce que l’avenir me réserve. Notre collaboration a été très organique.
Luhlaza 5, Gavin GOODMAN, 2021
“Je pense que les choses arrivent au bon moment. Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, le timing n’était pas idéal. Cependant, aujourd’hui, notamment après 1-54 New York, je ressens un véritable feu intérieur qui me pousse à continuer de créer. [...] Notre collaboration a été très organique.”
Carine BILEY : D’ailleurs, tout comme avec Gavin, ma rencontre avec Ousmane DIA s’est faite de manière très organique. J’avais été invitée à Genève à une journée portes ouvertes de son studio par une connaissance qui travaillait avec lui, mais je n’avais pas pu y assister. Quelques temps plus tard, j’ai finalement eu l’occasion de m’y rendre, et j’ai eu un véritable coup de cœur pour son travail, que je trouvais insolite ! Ousmane DIA est un doyen reconnu, bien établi au Sénégal, en Suisse et à l’international. C’est un artiste majeur. Nos personnalités ont tout de suite matché, mais il restait assez réticent à aller plus loin, car à l’époque je n’avais pas encore de galerie et travaillais sur des lieux itinérants. Dans sa bienveillance, Il m’a clairement fait comprendre qu’il n’exposerait qu’en galerie. J’ai été vexée sur le moment. Rires. Des années plus tard, lorsque la galerie a finalement ouvert, il est venu visiter l’une des premières expositions et m’a alors parlé d’un nouveau projet sur lequel il travaillait, en exprimant son souhait que nous collaborions pour une exposition à la galerie. C’est ainsi que notre partenariat a débuté.
Yeurmandé, Ousmane DIA, 2023
Ngalula MAFWATA : Cette exposition présentée à 1-54 revêt plusieurs dimensions. Quelle a été votre approche pour la concevoir ?
Carine BILEY : Pour 1-54, nous avons choisi de présenter les œuvres de deux artistes majeurs de la galerie, chacun développant un univers singulier. Leur point commun réside dans la place centrale accordée à la figure féminine, qu’ils explorent toutefois sous des angles très différents. Gavin adopte une approche épurée, esthétique et minimaliste, tandis qu’Ousmane DIA propose une vision engagée de la femme forte et résiliante, porteuse de nombreux combats et du poids de l’histoire — un thème d’ailleurs explicitement évoqué dans l'une de ses œuvres intitulée Le poids de l’Histoire. Ousmane DIA a développé une véritable écriture plastique autour du motif de la chaise, un symbole riche de significations : elle incarne l’hospitalité en Afrique, mais aussi le pouvoir. Ce motif traverse l’ensemble de son travail, prenant tantôt la forme de sculptures en trois dimensions, tantôt celle d’éléments d’arrière-plan dans ses toiles. La série que nous avons présentée à 1-54, Black Requiem, a été créée en réaction au meurtre de George Floyd.
“Ousmane DIA est un doyen reconnu, bien établi au Sénégal, en Suisse et à l’international. C’est un artiste majeur. ”
Ngalula MAFWATA : Comment définiriez-vous vos influences ?
Gavin GOODMAN : Je suis né et ai grandi en Afrique du Sud et y habite jusqu’à ce jour. C’est un pays qui regroupe de nombreuses cultures africaines. Nous avons 11 langues nationales pour dire. En tant que photographe professionnel depuis maintenant une vingtaine d’années, mon regard se porte naturellement sur le beau. Plutôt qu'une influence unique, mon travail est nourri par une exposition multiple aux traditions africaines, au design contemporain, et aux textures culturelles qui m'ont entourée tout au long de ma vie — que je réinterprète à travers un prisme moderne et minimaliste. Mon esthétique a un ancrage minimaliste, et résulte de ces éléments qui m’ont toujours entouré et que je j’interprète selon mon regard. Je porte une attention particulière à la lumière, aux couleurs, symétries et formes. J’aime les choses raffinées, modernes et minimalistes. Pour la série Luhlaza, par exemple, j’ai collaboré avec un artiste origamiste afin de concevoir les sculptures portées par les modèles. Ces pièces s’inspirent des coiffes et tenues traditionnelles, et ont ensuite été intégrées au stylisme avec l’aide d’un ami styliste, avec qui j’avais déjà travaillé à plusieurs reprises lorsque j’évoluais dans le secteur de la publicité. Une grande partie de la réalisation de cette série a nécessité un travail minutieux de planification : conception des pièces en origami, élaboration de la palette de couleurs, sélection des mannequins ainsi que réflexion sur l’éclairage. Finalement, après deux semaines de préparation, nous avons pu concrétiser le projet en une journée de prise de vue. C’est la manière dont j’appréhende mon processus créatif tout en laissant de la place à la spontanéité.
Ngalula MAFWATA : Les femmes semblent occuper une place centrale dans vos oeuvres
Gavin GOODMAN : C’est vrai, j’ai essayé d’intégrer des hommes à mon travail par le passé. Toutefois, mon travail s’ancre dans l’harmonie des compositions, des formes et des couleurs, et je trouve que les courbes du corps féminin, plus douces et élégantes, permettent une meilleure expression de ma quête artistique.
Ubuntu 2, Gavin GOODMAN, 2024
Ngalula MAFWATA : Certaines œuvres mélangent photographie et art digital, avec l’intégration de différentes techniques. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Gavin GOODMAN : J’ai toujours été intéressé par la technologie et l’innovation. Par définition, la photographie nécessite de bonnes connaissances techniques et une curiosité en la matière. Lorsque l’Intelligence Artificielle est apparue, j’ai commencé à explorer avec cette technologie et me suis rendu compte rapidement à quel point c’était un outil qui pouvait m’aider à interpréter des idées que j’avais en esprit. Depuis trois, quatre années que j’explore je me suis constituée une base de données à partir de mes travaux et c’est sur cette base que je crée mes œuvres. C’est pourquoi il existe une certaine harmonie d’une série à l’autre. C’est une extension de mon travail et m’a permis d’élargir mon champ créatif notamment en imaginant des espaces qui auraient pu être plus difficile d’accès d’un point de vue logistique.
Carine BILEY : Le sujet de l’intelligence artificielle reste délicat dans le marché de l’art en particulier lorsque lié à la question de la propriété intellectuelle avec des risques de controverse. Cependant lorsque nous parlons de Gavin, il a de nombreuses années de pratique derrière lui, je connais le photographe technique qu’il est et son processus complexe. Je l’ai suivi les yeux fermés dans son aventure avec l’Intelligence Artificielle qui n’est finalement que la prolongation de son travail. La série Thando par exemple explore la peinture de manière digitale et crée un effet texturé intéressant. À ce jour, Gavin m’a confié six de ses séries de photographie et à 1-54 nous avons pris le parti pris de présenter un cliché de chaque série, et l’idée était de montrer cette harmonie existante au sein de l'œuvre de Gavin Goodman complémenté par un livre objet présentant chacune de ses séries dans leur intégralité ouvrant également les opportunités.
“Je suis né et ai grandi en Afrique du Sud et y habite jusqu’à ce jour. C’est un pays qui regroupe de nombreuses cultures africaines. Nous avons 11 langues nationales pour dire. Mon identité s’est construite au croisement des éléments traditionnels, culturels et de la mode auxquels j’ai été exposé”
Ngalula MAFWATA : Quelle a été la réception ?
Gavin GOODMAN : L’expérience de 1-54 New York a été pour moi une véritable révélation, bien au-delà de ce que j’avais imaginé. Il est rare que les artistes puissent assister à la foire ; nous n’étions peut-être que 20 % à être présents. J’ai beaucoup apprécié pouvoir observer et écouter les visiteurs interagir avec mon travail, sans qu’ils sachent que j’en étais l’auteur. Cette foire a été l’occasion d’échanger avec une multitude de personnes venant d’horizons différents. Je suis reconnaissant de voir le nombre de personnes ayant pu se connecter avec mes œuvres, c’est un sentiment gratifiant. D’ailleurs, je me suis rendu compte que j’ai moi-même appris davantage sur mon travail en échangeant avec les visiteurs. C’était une première pour moi, de parler autant de moi et de ce que je fais durant ces quatre journées. Je reste empli d'humilité et de gratitude face à cette réception. Je n’attends que la prochaine expérience !
Carine BILEY : Je tiens également à souligner l’excellente réception commerciale de l’exposition, avec de très belles ventes réalisées. Le livre d’exposition présentant l’intégralité des œuvres de Gavin a lui aussi rencontré un franc succès. Nous prévoyons d’ailleurs d’en publier prochainement une nouvelle édition à destination du grand public.
Je suis particulièrement inspirée par la vision portée par Touria EL GLAOUI, un continent, cinquante-quatre pays ce qui est une invitation à ne pas se cantonner à certaines frontières. Je suis ivoirienne et aurais très bien pu me concentrer sur les artistes de mon pays. Pourtant, l’objectif était justement d’avoir un impact en présentant des artistes issus d’horizons variés, afin de mettre en lumière la richesse et la diversité des expressions africaines. C’est dans cet esprit que les artistes représentés par Filafriques sont aussi diversifiés : nous proposons un véritable voyage international à travers les nations africaines, porté par le regard d’artistes aux identités et sensibilités affirmées.
Bomvu, Gavin GOODMAN, 2020
Filafriques à 1-54 New York 2025
Ngalula MAFWATA : Quels sont les prochains projets sur lesquels nous allons vous retrouver ?
Gavin GOODMAN : Je travaille actuellement sur une nouvelle série en noir et blanc que j’ai débuté il y a quelques mois maintenant. La réalité est que cette expérience à 1-54 m’a inspiré à reconsidérer mon approche et notamment poursuivre mon exploration du mix média. Je suis encore en phase de conceptualisation et cette série verra le jour d’ici à quelques mois cette année. C’est un projet sur lequel je suis extrêmement positif et qu’il me tarde de présenter.
Carine BILEY : Nous allons présenter un duo show entre Reggie KHUMALO avec Gavin GOODMAN à la prochaine édition de 1-54 à Londres. Les deux sont sud africains et avec une approche diamétralement opposée. Khumalo est dans l’extravagance absolue avec cette générosité du tissu qui vient contraster avec le noir profond des personnages peints. C’est un art vivant que nous allons mettre en conversation donc avec toute l’élégance de Gavin Goodman. C’est une idée que j’avais à l’esprit depuis un moment que nous avons exploré à la galerie et que nous avons hâte de présenter à Londres. Les deux artistes s’admirent l’un l’autre et vont se rencontrer à Londres puisque les deux seront présents !
Pour en savoir plus sur Filafriques, rendez-vous sur leur site : www.Filafriques.gallery