1-54 New York Confessions : Yann KWETE ‘L’Art contemporain africain ne doit pas rester folklorique.’

Pour sa première participation à 1-54 New York, Yann KWETE et la Kub’Art Gallery ont marqué les esprits avec un duo show percutant réunissant les photographes congolaises Rachel MALAIKA et Prisca MUNKENI. Une première historique pour une galerie congolaise à la foire internationale d’art contemporain africain, qui confirme l’ascension de Kub’Art dans le paysage artistique global. Deux ans après ses débuts à AKAA, la galerie Kub’Art poursuit son expansion. Nous avons rencontré Yann Kwete pour faire le point sur ce nouveau cap.

Yann KWETE, fondateur de KUB’ART Gallery à 1-54 New York 2025. Crédits : KUB’ART Gallery, 2025

Dans cet entretien exclusif réalisé pendant 1-54 New York, Yann Kwete nous dévoile Mémoire ancestrale, une exposition en duo présentée par la Kub’Art Gallery. Entre résurgence de l’héritage et regards contemporains, ce duo show poignant réunit les portraits sauvages de Prisca MUNKENI et les scènes ritualisées de Rachel Malaika. Le galeriste congolais y partage la vision singulière de Kub’Art, située au carrefour des traditions réinventées et de l’art actuel.

Ngalula MAFWATA : Depuis notre dernier échange à AKAA il y a deux ans, beaucoup de choses ont évolué CHEZ Kub’Art, pouvez-vous nous en rappeler l’origine ?

Yann KWETE : Kub’Art Gallery est un nom profondément enraciné dans mon identité culturelle. Il puise sa source dans le royaume Kuba, reconnu pour la finesse de son héritage artistique — notamment les tapisseries, les motifs géométriques et les masques — qui témoignent d’une richesse ancestrale encore célébrée à travers le monde.

En tant que fondateur et curateur, ma démarche vise à répondre à l’érosion de l’identité nationale face aux dynamiques de mondialisation. Kub’Art Gallery se positionne comme un espace de résidence, de diffusion et de réflexion autour de cet héritage menacé, tout en valorisant la création contemporaine vivante. La galerie célèbre les traditions artistiques afro-descendantes, qu’elles soient d’inspiration kuba ou issues d’autres pratiques ethniques, avec une attention particulière portée à la culture du Congo. À travers des expositions, des publications, des dialogues et des actions de médiation culturelle, Kub’Art aspire à construire des ponts entre les continents et les époques. L’objectif est de préserver un patrimoine en danger tout en inspirant une réappropriation critique et une ré-interprétation contemporaine par une nouvelle génération d’artistes et de penseurs.

Promouvoir la création contemporaine africaine, et en particulier congolaise, implique aussi de réfléchir, à travers les publications, à des stratégies de renforcement de cet écosystème. Un écosystème nourri par le travail des artistes, des commissaires, des penseurs, des auteurs et des critiques, en Afrique comme ailleurs, qui enrichissent la scène artistique mondiale.

Do Not Shoot, Wait Jesus is That You ? Prisca Munkeni MONNIER, 1-54 New York

À mon sens, l’art contemporain africain ne doit pas rester cantonné à une vision folklorique. C’est un art moderne, vivant, qui participe pleinement au mouvement artistique mondial. Il ne doit pas être enfermé sur le seul continent africain. Bien sûr, il est essentiel de développer un marché local solide, avec des projets à l’échelle panafricaine. Mais il est tout aussi important de s’ouvrir à l’international, de réfléchir à la manière dont nous pouvons faire rayonner cette créativité et cette tendance au-delà de nos frontières.
— Yann KWETE, Kub'Art Gallery

Ngalula MAFWATA : Vous évoquez le lien entre ancestralité, héritage et création contemporaine. C’est la première fois que vous présentez un projet à New York, dans le cadre de la foire 1-54, une institution de référence dans le circuit de l’art contemporain africain. Qu’est-ce qui vous a motivé à participer à cette édition, et quelle démarche vous a conduit à faire ce choix stratégique ?

Yann KWETE : À mon sens, l’art contemporain africain ne doit pas rester cantonné à une vision folklorique. C’est un art moderne, vivant, qui participe pleinement au mouvement artistique mondial. Il ne doit pas être enfermé sur le seul continent africain. Bien sûr, il est essentiel de développer un marché local solide, avec des projets à l’échelle panafricaine. Mais il est tout aussi important de s’ouvrir à l’international, de réfléchir à la manière dont nous pouvons faire rayonner cette créativité et cette tendance au-delà de nos frontières. C’est pourquoi il me semblait crucial d’être présent en Amérique — en particulier à New York, qui reste l’un des carrefours majeurs de l’art contemporain. Aujourd’hui, quand on parle du marché de l’art, on parle de New York, Londres, Hong Kong. Ce sont dans ces villes que le marché vit, évolue, se structure. Il est donc stratégique pour nous, en tant qu’Africains et en tant que Congolais, d’y présenter ce que nous avons à offrir.

Dans le contexte de 1-54, il s’agissait aussi de mettre en lumière le travail de deux artistes : Rachel MALAIKA et Prisca MUNKENI MONNIER, qui explorent toutes deux le même médium. Ce sont des artistes émergentes, en pleine affirmation, qui commencent à bénéficier d’une reconnaissance concrète. Je pense notamment à Rachel MALAIKA, dont l’œuvre Observant Gazes a récemment été acquise par le Ackland Art Museum en Caroline du Nord. Ces acquisitions contribuent à asseoir leur légitimité critique et à renforcer leur visibilité sur la scène internationale. Des événements comme 1-54 jouent un rôle fondamental dans ce processus. Depuis plus de dix ans, grâce au travail remarquable de Touria El Glaoui et de toute son équipe, ce salon a permis de mettre de nombreux artistes africains sur la carte mondiale, à travers ses éditions à New York, Londres, Marrakech, Paris, et désormais Shanghai.

Pieds de Bouc & CORPUS ABOMINATION, Prisca Munkeni MONNIER, 1-54 New York

Ngalula MAFWATA : Quelle était la vision curatoriale de Kub’Art pour cette édition de 1-54 New York ?

Yann KWETE :  La vision curatoriale de Kub’Art à 1-54 New York est résolument engagée. L’objectif était de proposer un regard pluriel sur les réalités du continent africain, en initiant un dialogue entre tradition et modernité, art et politique, mémoire et avenir. La galerie éclaire d’un jour nouveau les grandes questions de notre temps à travers les propositions artistiques d’une nouvelle génération de créateurs. À 1-54, nous mettons à l’honneur les œuvres de Rachel MALAIKA et Prisca MUNKENI, contribuant à enrichir notre compréhension des enjeux identitaires, mémoriels et socio-politiques contemporains. Prendre part à cette foire constitue également une occasion stratégique de mieux appréhender les enjeux économiques propres à New York.  Les approches des collectionneurs et amateurs d’art sont très différentes de celles que l’on observe en Europe — je pense notamment à Paris. 1-54 reste l’une des plateformes les plus prestigieuses consacrées à l’art contemporain africain, et elle offre une visibilité exceptionnelle, aux côtés de galeries majeures du monde entier.

Notre présence est une véritable opportunité de rencontrer et échanger directement avec les collectionneurs, commissaires, critiques, galeries internationales, musées et institutions. Cela permet de développer un réseau international, d’envisager des partenariats futurs, tout en renforçant l’assise de Kub’Art Gallery comme première galerie congolaise — née au Congo — à participer à 1-54, avec pour mission la promotion de l’art contemporain du pays. La présence sur place des deux artistes, Rachel MALAIKA et Prisca MUNKENI, a également représenté une véritable valeur ajoutée. Elles ont pu rencontrer directement le public, nourrir des échanges et conversations, et présenter leur travail avec leurs propres mots.

La vision curatoriale de Kub’Art à 1-54 New York est résolument engagée. L’objectif était de proposer un regard pluriel sur les réalités du continent africain, en initiant un dialogue entre tradition et modernité, art et politique, mémoire et avenir. La galerie éclaire d’un jour nouveau les grandes questions de notre temps à travers les propositions artistiques d’une nouvelle génération de créateurs.
— Yann KWETE

Ngalula MAFWATA : Avez-vous été confronté à d’autres réalités, plus surprenantes ?

Yann KWETE :  Il ne faut pas non plus négliger l’aspect financier : participer à une foire implique des frais et des investissements importants qu’il est essentiel d’amortir. C’est pourquoi le développement de partenariats internationaux et le renforcement de notre notoriété figurent parmi nos objectifs clés. Notre présence s’inscrit dans une volonté claire : être reconnus comme l’un des acteurs majeurs de la promotion de l’art africain — un art fait par des Africains, porté par des voix africaines. C’est d’ailleurs ce qui fait notre singularité : la capacité à affirmer notre propre récit, à nous positionner nous-mêmes comme narrateurs de nos histoires. La ville de New York représente, à ce titre, un terrain d’observation particulièrement riche pour analyser les tendances du marché international, tout en nourrissant notre inspiration pour de futures expositions. 

Les échanges que nous avons pu y avoir avec des professionnels expérimentés, actifs depuis de nombreuses années, nous offrent de précieuses perspectives pour affiner notre stratégie. En termes de retombées, cette présence à 1-54 renforce à la fois la visibilité des artistes et celle de la galerie — et nous permet d’ores et déjà de préparer notre prochain mouvement.

Notre participation s’inscrit dans une volonté claire : être reconnus comme l’un des acteurs majeurs de la promotion de l’art africain — un art fait par des Africains, porté par des voix africaines. C’est d’ailleurs ce qui fait notre singularité : la capacité à affirmer notre propre récit, à nous positionner nous-mêmes comme narrateurs de nos histoires.
— Yann KWETE

Source et Resources, Rachel MALAIKA, 1-54 New York

Ngalula MAFWATA : Pourquoi était-il important pour vous que Kub’Art Gallery, en tant que galerie congolaise, soit présente à 1-54 New York ?

Yann KWETE : On ne peut pas comprendre un pays comme la République Démocratique du Congo — et Kinshasa, où la galerie est née — sans prendre en compte sa complexité : un véritable pays-continent, riche de plus de 400 ethnies, d’une diversité culturelle et créative incomparable. Et pourtant, il existe encore très peu de galeries congolaises présentes sur les foires internationales. Certes, plusieurs artistes congolais de renom évoluent brillamment à l’international, mais il nous semblait essentiel, aussi sur le plan symbolique, qu’une galerie fondée et dirigée par des Congolais soit représentée ici, à New York. C’est une manière forte de revendiquer notre place dans les dynamiques de l’art contemporain global, non pas en périphérie, mais comme acteur central et légitime de ce mouvement en pleine évolution.

Ngalula MAFWATA : Un dernier mot sur les oeuvres présentées de Rachel MALAIKA et Prisca MUNKENI Monnier ?

Yann KWETE : Mémoire Ancestrale est un projet centré sur la mémoire, l’identité, la réappropriation et la modernité. Cette exposition en duo réunit deux artistes, Prisca MUNKENI et Rachel MALAIKA, qui explorent la notion d’héritage ancestral à travers la photographie — chacune avec une signature artistique bien distincte. L’une mêle textile et image dans une approche proche de la tapisserie, l’autre joue avec le montage pour créer des compositions saisissantes. Ensemble, leurs œuvres dialoguent et offrent une relecture contemporaine de nos racines.

Certes, plusieurs artistes congolais de renom évoluent brillamment à l’international, mais il nous semblait essentiel, aussi sur le plan symbolique, qu’une galerie fondée et dirigée par des Congolais soit représentée ici, à New York.
— Yann KWETE

Ngalula MAFWATA : Quels sont les projets à suivre ?

Yann KWETE : Nous sommes heureux d’annoncer la sortie de notre tout premier livre d’art, DRC Contempo, réalisé en collaboration avec Mayì Arts. Nous le publions avec le soutien d’Africell Impact Foundation. Par ailleurs, nous préparons plusieurs expositions et foires à venir en Europe, notamment Noise en septembre à Istanbul avec Mustache Muhanya et Dema, ainsi que notre participation à 1-54 Londres.

Pour en savoir plus sur KUB’ART Gallery, rendez-vous sur leur site : http://kubart.gallery/

Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com
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