Adora Mba : secrets de réussite d’une pionnière de l’art contemporain de Accra au monde

Il y a dans les mots d’Adora Mba, fondatrice de la galerie ADA contemporary art gallery, une élégance naturelle et une aisance empreinte de grâce. Animée par la passion et l’audace, cette ancienne journaliste devenue marchande d’art a fondé sa galerie après des années de dévouement et d’engagement au service des artistes ghanéens et africains. Cinq ans plus tard, ADA Contemporary Art Gallery est devenue un refuge pour les artistes et un pilier de la scène artistique d’Accra. Portée par une vision forte, un travail acharné et un amour profond pour l’humain, Adora œuvre avant tout pour l’héritage et l’impact durable. Tout au long de son parcours, cette pionnière a veillé à créer un espace particulier pour les artistes sous-représentés, mais aussi pour les femmes dans le monde de l’art.
Dans cet entretien, Adora Mba revient sur son parcours exceptionnel en tant que femme ghanéenne avant gardiste rayonnant sur la scène internationale en tant que galeriste. Elle évoque les défis auxquels elle fait face — des réalités parfois dures — mais elle, l’affirme, le chemin en vaut la peine.

Adora Mba, ADA Contemporary

Dans cet entretien, Adora Mba partage son parcours unique, les leçons tirées et les victoires remportées en bâtissant la galerie ADA Contemporary Art. Aujourd’hui, elle dévoile un nouveau chapitre sans frontières : ADA Contemporary, une évolution naturelle de sa vision globale.

Ngalula MAFWATA : Comment débute votre initiation à l’art ?

Adora Mba : J’ai grandi au Nigeria, dans une maison remplie d’art. Mes parents étaient collectionneurs passionnés, ils organisaient même des expositions chez nous avec leurs amis. Très tôt, l’art a fait partie intégrante de ma vie. À vrai dire, je voulais devenir artiste. Mais avec des parents ouest-africains, on sait pertinement que l’art ne peut être qu’un hobby, pas un vrai métier [rires].
Cela dit, j’ai toujours évolué dans des espaces culturels. Au début des années 2010, j’étais journaliste culturelle à Londres, spécialisée dans les artistes noirs et africains pour plusieurs médias, dont BBC Africa et The Economist. Ensuite, je suis passée dans les relations presse pour des artistes américains et britanniques. Mes temps libres, je les passais dans des expositions, des vernissages ou à visiter des musées le week-end. C’était naturel pour moi. J’aime profondément l’art.

Ngalula MAFWATA : À quel moment est arrivé le déclic pour vous lancer dans l’entrepreneuriat ?

Adora Mba : De manière naturelle. J’ai commencé à me constituer un réseau d’artistes en visitant leurs ateliers, en écrivant sur eux. C’est ainsi qu’est né The Afropolitan Collector, une plateforme sur laquelle je publiais les contenus que je produisais mais qui n’étaient pas retenus par les publications pour lesquelles je travaillais. Je ne me doutais pas que cela susciterait autant d’intérêt. L’art africain était pour moi une évidence, mais je n’avais pas réalisé que c’était encore quelque chose de nouveau pour beaucoup de gens. À Londres, nombreuses étaient les personnes qui ne savaient ni où trouver de l’art africain, ni comment l’acheter ou le vendre — ce qui me paraissait impensable !

Très vite, on a commencé à me solliciter pour acheter et vendre des œuvres, sachant que je disposais d’un solide réseau à travers les institutions, musées, galeries et artistes. C’est comme ça que je suis devenue marchande d’art. J’ai quitté le journalisme pour me consacrer entièrement, pendant sept ans, au négoce d’art. Mes clients étaient principalement des collectionneurs africains qui avaient besoin d’un accès aux galeries situées dans des villes comme New York, Londres, Paris et d'autres encore.

Au moment où l’art contemporain africain a commencé à vraiment exploser, j’étais déjà rentrée au Ghana. Mon activité me faisait constamment voyager entre l’Europe et les grandes capitales africaines de l’art : Lagos, Accra, Dakar, Le Cap. Il devenait logique de me réinstaller sur le continent. J’ai choisi Accra, car j’étais toujours intriguée par le fait que, malgré l’immense vivier de talents, le Ghana ne bénéficiait pas de la même visibilité internationale que des pays comme le Nigéria, qui disposaient déjà d’un marché de l’art structuré et d’un écosystème solide. Les artistes ghanéens devaient souvent se rendre au Nigéria, en Afrique du Sud ou en Europe pour faire carrière, à cause du manque d’espaces de diffusion locaux. À l’époque, seules la Gallery 1957 et la Nubuke Foundation se distinguaient. Il existait quelques petites galeries à vocation locale, mais rien qui ait une envergure internationale.

Ngalula MAFWATA : Alors, comment est née la galerie ?

Adora Mba : Je me suis rendu compte qu’au fil du temps, j’avais construit un écosystème unique, presque naturellement. J’avais un accès direct aux artistes, aux galeries, aux foires, aux collectionneurs. Mon parcours dans la presse et les relations publiques m’a appris à comprendre ce que recherchent les journalistes, tandis que mon expérience en tant que marchande d’art m’a permis de cerner ce qui touche réellement les collectionneurs. Et à un moment donné, ça a fait tilt. J’avais tout ce qu’il fallait. Alors je me suis dit : allons-y. J’étais déjà ADA. C’est à la fois une bénédiction et parfois un poids, mais dans le fond, je suis ce que je fais. Ce n’est pas un métier, c’est juste moi, telle que je suis. Je me sens extrêmement chanceuse, car beaucoup de gens rêvent de cette forme d’alignement intérieur.

Il a fallu du temps, mais c’était le bon moment — un timing divin. Tout ce qu’il me manquait, c’était l’espace. Pendant le Covid, je cherchais un lieu sans succès. Puis, un soir, au dîner d’anniversaire de ma cousine, j’ai rencontré l’une des propriétaires du groupe immobilier Villagio. Je lui ai parlé de ma frustration à ne pas trouver de lieu. Vers la fin de la soirée, elle me dit tout à coup : « Et pourquoi pas ici ? » Le complexe avait un sky-bar, des cafés, du passage, des logements haut de gamme, et il restait très accessible au public local. Un ou deux jours plus tard, elle m’a rappelée et m’a proposé de concrétiser l’idée. Je me souviens que je ne voulais pas construire juste pour construire. Je voulais créer un lieu avec du sens, de l’impact. Je voulais que les Ghanéens puissent vivre une expérience artistique de type white cube — une expérience muséale de haut niveau, comme à Londres, Paris ou ailleurs. C’était une question de bon endroit, bon moment. Finalement, le Covid m’a aidée. Il m’a offert le temps et l’espace pour façonner le programme que j’avais en tête. Je ne me suis pas précipitée. Pendant neuf mois, j’ai pris le temps d’échanger avec les artistes, de définir notre approche, de constituer une équipe. Et nous a ouvert en octobre 2020.

Deborah Segun, Crédits ADA Contemporary

Ngalula MAFWATA : Justement, en parlant du Covid, on peut dire que 2020 et les années qui ont suivi ont marqué un véritable âge favorable pour l’art contemporain. Comment as-tu vécu cette période ?

Adora Mba : Alors que le Covid a freiné de nombreux secteurs, le secteur de l’art, lui, a prospéré. Les gens, confinés chez eux à fixer leurs murs, ont redonné de l’importance à l’art, et pas seulement à l’art contemporain africain. C’était une période très intense. J’étais en contact permanent avec des artistes et des collectionneurs du monde entier. Je me suis toujours sentie chanceuse. Même en étant basée au Ghana — un pays encore perçu à travers certains stéréotypes depuis l’Occident — près de 90 % de mes clients sont internationaux. Cela dit, je reste concentrée sur le développement d’un véritable réseau de collectionneurs locaux. J’ai construit la galerie avant tout pour les Ghanéens, dans le but de les habituer à franchir les portes d’un espace d’art, et de les inspirer à travers cette expérience.

Ngalula MAFWATA : Justement, que pouvez-vous nous dire de la scène artistique au Ghana aujourd’hui ?

Adora Mba : La communauté artistique au Ghana évolue de façon constante. Depuis le Covid, beaucoup d’artistes sont rentrés au pays et y ont installé leurs ateliers, ouvert des résidences, créé leurs propres espaces — ou se sont regroupés en collectifs. Il y a de plus en plus de lieux dédiés à l’art qui voient le jour. Accra est véritablement devenue un hub artistique. Le nombre de visiteurs que nous avons reçus venant de grandes institutions internationales en est la preuve. Beaucoup d’entre eux n’étaient jamais venus en Afrique — et pourtant, ils sont venus à ADA. Serpentine, le TATE Modern, la Fondation Louis Vuitton, le Centre Pompidou, le V&A, le MoMA… Et j’espère que ce n’est que le début.


Ngalula MAFWATA : Quels sont certains des défis auxquels la galerie est confrontée ?

Adora Mba : Le Ghana comptait autrefois deux grandes universités d’art, mais l’une d’elles a malheureusement dû fermer faute de financements publics. Il est triste de constater que la valeur culturelle, sociale et économique de l’art est souvent négligée. Lorsque le ministère de la Culture a retiré les cours d’art plastique des programmes scolaires à l’école primaire, mon équipe a lancé un programme en réponse : nous avons contacté des écoles locales à Accra. Aujourd’hui, nous organisons des ateliers mensuels à la galerie pour les élèves.

Nous collaborons également avec des associations qui soutiennent les enfants déplacés, en leur proposant des visites d’atelier et des expériences pratiques. C’est une initiative dont je suis particulièrement fière — elle est fondée sur la transmission et vise à créer un impact durable. Voir de jeunes enfants interagir avec l’art, reconnaître des visages qui leur ressemblent accrochés aux murs, et comprendre que ces œuvres ont été créées par des Africains… Cela peut éveiller des vocations, inspirer, et façonner les artistes de demain.

La communauté artistique au Ghana évolue de façon constante. Depuis le Covid, beaucoup d’artistes sont rentrés au pays et y ont installé leurs ateliers, ouvert des résidences, créé leurs propres espaces — ou se sont regroupés en collectifs. Il y a de plus en plus de lieux dédiés à l’art qui voient le jour. Accra est véritablement devenue un hub artistique.
— Adora Mba su sujet de l'influence croissante de Accra


Ngalula MAFWATA : Vos expositions passées ont souvent été audacieuses et visuellement percutantes, mettant régulièrement en lumière des artistes en début de carrière. Comment engagez-vous la relation avec eux afin de les intégrer à votre univers ?

Adora Mba : Cela passe par plusieurs canaux. J’ai des amis et des personnes de confiance sur le terrain qui me recommandent des artistes. Quand quelqu’un me dit : « Tu dois absolument regarder ce travail », j’écoute. Parfois, ça peut être une découverte à 3h du matin sur Instagram… mais c’est rare. On reçoit également énormément de portfolios. Pour moi, c’est surtout une question d’intuition, combinée avec les retours de collectionneurs et de curateurs en qui j’ai confiance… et parfois, c’est une belle surprise, une découverte inattendue. Zandile Tshabalala, par exemple, m’a été présentée par un collectionneur alors qu’elle terminait sa dernière année d’études.

J’ai choisi de me concentrer volontairement sur les artistes émergents. La découverte a toujours été quelque chose de naturel pour moi, et amener de nouveaux talents sur le marché est quelque chose que je trouve à la fois stimulant et amusant. D’un point de vue business, bien sûr, cela peut sembler risqué — travailler avec des artistes plus établis serait sans doute plus rentable. Mais je suis profondément attirée par la nouveauté, par l’idée de faire émerger de nouvelles formes artistiques et de les faire découvrir aux collectionneurs.

Il faut dire aussi que beaucoup de jeunes artistes de notre région sont autodidactes, il n’y a tout simplement pas assez d’écoles d’art. En tant que galerie, cela nous pousse à aller bien au-delà du simple rôle d’exposition. On les accompagne, on les forme, on les aide à comprendre comment naviguer dans le système artistique global, et pas uniquement africain.

‘The Sound of Our Souls’ exposition de groupe. Crédits ADA Contemporary

Ngalula MAFWATA : En plus de votre engagement envers les artistes en début de carrière, vous avez décidé cette année de soutenir les femmes de manière plus intentionnelle. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

Adora Mba : J’ai simplement senti que les femmes exploraient des choses différentes : leur savoir-faire, leur pratique étaient uniques. Prenons par exemple notre dernière exposition The Alchemy of Colours and Matter, aucune œuvre ne ressemblait de près ou de loin à une autre. Chacune à exploré des récits et des techniques distincts.

En réfléchissant aux cinq dernières années, j’ai pris la décision consciente de consacrer ce programme aux femmes — en particulier aux artistes noires et africaines, qui sont incomparables à toute autre dans le monde. Et d’ailleurs, de façon assez surprenante, ce sont elles qui s’avèrent actuellement les plus solides sur le plan économique. Au-delà de mon travail avec les artistes, je collabore aussi avec des commissaires d’exposition féminines, car je voulais sincèrement créer quelque chose de significatif pour elles. Les artistes hommes ont compris. Ce n’est pas que je ne les soutiens pas, et ils l’ont perçu. C’était l’occasion de mettre en avant quelque chose de différent et de fort. Il s’agissait de prendre des risques, d’être audacieuse et de mettre en lumière ma propre communauté.

Ngalula MAFWATA : Et qu’en est-il de votre parcours en tant que femme fondatrice ?

Adora Mba : Je suis sans doute confrontée au syndrome de l’imposteur par moment. [rires] Et je peux être assez réservée, en contraste avec la voix et la posture que je projette à travers mon travail. Ce parcours a été extrêmement difficile, solitaire. Ce que j’ai constaté, c’est qu’il est déjà compliqué d’être une femme, mais encore plus d’être une femme noire en Occident, malgré le fait que j’aie grandi à Londres et que je bénéficie de certains privilèges.
Mais ce qui est le plus choquant et douloureux dans cette industrie, c’est que le manque de soutien vient souvent de nos propres communautés. C’est nous. On exige constamment des femmes entrepreneures qu’elles fassent leurs preuves de manière irréprochable. Constamment. D’après mon expérience, les hommes — sans vouloir faire une généralité — reçoivent beaucoup plus de soutien. Ils n’ont pas nécessairement besoin d’un business plan, ni de prouver qu’ils sont de bons gestionnaires à ce point-là. Je l’ai vu de mes propres yeux.
Ici, sur le continent, en tant que femme, vous devez prouver que vous êtes excellente, pas seulement compétente, mais excellente, et en permanence. J’ai construit cette galerie seule, sans investisseurs. Même si j’ai apprécié le défi, je ne le recommanderais pas forcément. Je dis toujours à ceux qui me demandent conseil : trouvez un associé.

“En tant que femme, vous devez prouver que vous êtes excellente, pas seulement compétente, mais excellente, et en permanence. J’ai construit cette galerie seule, sans investisseurs. Même si j’ai apprécié le défi, je ne le recommanderais pas forcément. Je dis toujours à ceux qui me demandent conseil : trouvez un associé..”

Adora Mba

Ngalula MAFWATA : Quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez été confrontée pour construire et faire perdurer la galerie ?

Adora Mba : Je suis frappée par le manque de soutien financier. Malgré la presse, les ventes, la reconnaissance — non seulement au Ghana mais aussi à l’échelle internationale — je n’ai pas reçu de soutien local lorsque j’en ai fait la demande, alors que c’est indispensable pour se développer.
Nous n’avons pas de subventions ou de financements publics pour l’art, contrairement par exemple au Royaume-Uni. C’est une réalité différente. Dans de nombreuses régions d’Afrique, nous nous battons encore pour combler les besoins primaires, donc l’art peut être perçu comme un luxe. Mais ce que nous faisons va bien au-delà de la vente de tableaux. Beaucoup de ces artistes sont jeunes, issus de milieux économiquement précaires. Il s’agit avant tout d’humain.
Malgré l’absence de soutien gouvernemental, je dois dire que le secteur artistique ghanéen est en pleine croissance, et c’est nous qui le faisons avancer, ensemble. Si certains ne voient pas que nous faisons venir au Ghana certains des plus grands collectionneurs et commissaires d’exposition au monde, c’est vraiment désolant et injuste. J’aime ce que je fais, et je continuerai à me battre pour ça.

‘Between The Dog and The Wolf’ de Cece Philips. Crédits ADA Contemporary

Ngalula MAFWATA : Comment percevez-vous votre rôle, ainsi que celui des acteurs des industries créatives, dans leur impact sur la société ?

Adora Mba : L’entreprenariat est un chemin solitaire. J’ai été la première femme galeriste au Ghana à ouvrir un espace commercial comme le mien, avec une ambition et une portée internationale. C’était un concept entièrement nouveau à l’époque, et je suis fière d’avoir joué un rôle déterminant dans ce changement.

J’aimerais sincèrement que nous ayons davantage de soutien institutionnel et gouvernemental — comme à Dakar, au Sénégal — car quelque chose d’essentiel est ignoré ici. C’est incroyable la quantité de talents présents dans tous les secteurs culturels : musique, cinéma, art et pourtant, une grande partie est mise de côté, alors même que ces créatifs contribuent de manière significative au progrès économique et social du pays.
Les Ghanéens sont naturellement créatifs. Nous sommes les chanteurs, perliers, sculpteurs, artistes textiles, peintres originels. Cela fait partie de notre ADN qu’il s’agisse des pots en argile, du kente, du raphia, de l’or. Et pourtant, je trouve étrange que notre pays, souvent présenté comme la « porte d’entrée de l’Afrique », ne célèbre pas pleinement, ni n’investisse réellement dans les millions de créatifs incroyables qui y vivent. À travers tout cela, je suis profondément reconnaissante envers mon cercle de soutien — ma famille, ma famille choisie, mes amis — qui m’ont soutenue personnellement tout au long du parcours.

Il y a une idée reçue selon laquelle notre métier est facile. Je comprends que cela puisse en donner l’apparence, que cela semble glamour, mais ce ne l’est pas. Je parle souvent du système de soutien qu’il faut mettre en place. J’essaie aussi d’être honnête sur ce que cela signifie d’être une femme fondatrice, pas seulement en Afrique, mais à l’échelle mondiale.
— Adora Mba


Ngalula MAFWATA : Comment gérez-vous l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ?

Adora Mba : J’ai fini par comprendre que je voulais certaines choses pour moi-même. Pendant des années, ma vie a entièrement tourné autour de la galerie, mon identité y était complètement liée. Je n’ai jamais été très douée pour trouver le juste équilibre entre vie pro et vie perso, mais depuis l’année dernière, j’ai commencé à apprendre à faire des pauses et à faire confiance à mon équipe pour gérer les choses. C’est un changement qui était nécessaire. Il y a aujourd’hui beaucoup de jeunes femmes entrepreneures dans le monde de l’art, et j’ai toujours été très honnête avec elles sur les réalités de ce parcours. Cette nouvelle génération est incroyable — elle regorge de jeunes curatrices, autrices, galeristes, de jeunes femmes passionnées qui veulent se lancer. Et je leur dis franchement ce que cela implique.

Il y a une idée reçue selon laquelle notre métier est facile. Je comprends que cela puisse en donner l’apparence, que cela semble glamour, mais ce ne l’est pas. Je parle souvent du système de soutien qu’il faut mettre en place, et je remarque que la jeune génération adopte déjà naturellement des formes de collaboration. J’essaie aussi d’être honnête sur ce que cela signifie d’être une femme fondatrice, pas seulement en Afrique, mais à l’échelle mondiale. Ce n’est pas facile, mais ça en vaut vraiment la peine. Je leur dis toujours : ça ne sera pas facile. Mais si tu aimes vraiment ce que tu fais, alors fonce.

Mais je crois fondamentalement que l’art de qualité finit toujours par trouver son public. Peu importe ce qui se passe dans le monde, les gens seront toujours attirés par le beau. Alors, j’essaie de ne pas trop m’inquiéter.
— Adora Mba au sujet de la conjoncture économique actuelle

Ngalula MAFWATA : Quelles sont les tendances de marché que vous avez remarquées ces derniers temps ?

Adora Mba : Je ne suis pas une grande adepte du mot tendance. Mais si l’on parle de ce vers quoi le marché semble s’orienter, le mixed media en fait clairement partie. Cela semble être une évolution naturelle après la vague de portraits et d’œuvres figuratives afro-centrées. Aujourd’hui, on observe davantage d’abstraction et d’expressionnisme.

J’adore le fait que nous recommencions à travailler avec nos mains — à créer des sculptures, à fabriquer des textiles. Je suis obsédée par la céramique, ça rend l’art de nouveau ludique. J’ai aussi remarqué un engouement pour les œuvres miniatures. Nous sommes passés d’un désir pour les plus grandes toiles du monde à une appréciation pour des peintures petites, intimes. J’ai étudié l’art, et je peux l’affirmer : peindre à petite échelle est souvent plus difficile. Il faut une maîtrise technique beaucoup plus fine, alors que les grands formats laissent plus de place au geste et à la spontanéité.

Ce virage vers le petit format me semble plus personnel, comme si l’on entrait dans quelque chose de privé. Et ce n’est pas limité à ici — je l’ai observé également aux Amériques et en Europe. C’est aussi un reflet de la conjoncture économique actuelle. Mais je crois fondamentalement que l’art de qualité finit toujours par trouver son public. Peu importe ce qui se passe dans le monde, les gens seront toujours attirés par le beau. Alors, j’essaie de ne pas trop m’inquiéter.

Hue 1, Roisin Jones (2025) 15.2 x 15.2 cm

Ngalula MAFWATA : Quelle est la suite pour ADA ?

Adora Mba : Suite à notre exposition The Alchemy of Colours and Matter, nous nous sommes concentrés sur les œuvres que nous avions encore à la galerie, afin de les exposer de manière plus réfléchie et significative. J’ai également pris du recul pour me concentrer davantage sur les aspects stratégiques de l’entreprise, tandis que mon équipe gère les opérations au quotidien.

Et ensuite ? Nous poursuivons notre programme dédié aux femmes. Avec le recul, je constate que la galerie a évolué, tout comme ma mission, qui ne cesse de croître et de se transformer. Dans les mois à venir, mon équipe changera également, certains membres prenant de nouvelles directions. En tant que leader, cela me remplit de fierté.

Mon amour pour l’art et mon engagement restent intacts ; c’est là que se trouve le cœur de ma vocation, et cela ne ressemble jamais à un travail. Mais pour moi, la priorité a changé. Il ne s’agit plus uniquement du volet commercial de l’art, mais de soutien, de programmes de résidence, de construction de bases solides et de philanthropie. Un vent de changement souffle.

Retrouvez plus d’information sur ADA Contemporary sur leur site.  

Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com
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