Valérie Lefort “Je conçois l’océan Indien comme un carrefour stratégique entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe”
Cap sur l’Océan Indien avec Valérie Lefort, qui lance VL Fineart, une galerie pionnière et singulière dans le paysage de l’art contemporain, dédiée à la promotion et au soutien des artistes de cette zone géographique riche et diverse. Installée à La Réunion depuis plusieurs années, Valérie Lefort fait preuve d’une détermination profonde et sincère, nourrie par une enfance rythmée par l’art, bien que son parcours professionnel ait d’abord emprunté d’autres sentiers. Après une carrière réussie dans l’immobilier haut de gamme, Valérie Lefort choisi de revenir à sa passion première : l’art. Son expérience passée lui permet aujourd’hui d’aborder ce secteur avec un regard aiguisé et une compréhension fine des enjeux économiques et culturels tout en créant des ponts inédits avec le monde. Rencontre.
Dans cet entretien exclusif, Valérie Lefort nous dévoile les coulisses du lancement de VL Fineart et partage sa passion pour les artistes de l’Océan Indien, tout en abordant les réalités de l’entrepreneuriat artistique dans une zone insulaire, ainsi que les stratégies efficaces qu’elle met en place pour y faire face.
Valerie LEFORT, fondatrice de VL Fineart
Ngalula MAFWATA : Comment avez-vous découvert cette passion pour l’art, quels ont été vos premiers souvenirs artistiques ?
Valerie LEFORT : J’ai baigné dans un environnement artistique et classique dès mon plus jeune âge, notamment grâce à ma mère, grande amatrice d’art, qui collectionnait entre autres des peintures flamandes et hollandaises. J’ai très tôt fréquenté galeries et musées, ce qui a naturellement nourri ma sensibilité esthétique. J’ai ensuite suivi un parcours classique en histoire de l’art, obtenant ma licence en 1995. Durant ces trois années, j’ai multiplié les expériences professionnelles, notamment par le biais de stages au sein de galeries et musées ou encore au sein d’agences spécialisées dans la communication artistique. Très vite, mon intérêt s’est porté sur les galeries d’art contemporain. En 1992, j’ai assisté à la FIAC pour la première fois et y ai acquis ma première œuvre : une pièce de l’artiste autrichien Olivier DORFER, qui travaille le fusain dans une esthétique sombre et introspective. Ce fut mon premier véritable coup de cœur, à la fois en tant qu’amatrice d’art et collectionneuse.
Ngalula MAFWATA : À ce moment, vous êtes collectionneuse, comment se construit votre regard artistique et quelles sont les rencontres déterminantes ?
Valerie LEFORT : Au fil de mon parcours académique, je façonne peu à peu mon regard artistique à travers des visites régulières en galeries et des rencontres marquantes. Je suis bouleversée par les univers de multiples artistes, les oeuvres au fusain de Piotr Szurek me saisissent de par leur intensité expressive ou encore celles de Ouattara Watts qui est une véritable révélation pour moi entre peinture, objets, photographie et dessin. Je réalise que mon œil est instinctivement attiré par des formes puissantes et viscérales et que les oeuvres que j’acquiers ont pour trait commun cet état brut et tribal. À cette époque, mon flair artistique relève davantage de l’intuition : je ne m’intéresse ni à la cote des artistes ni à leur positionnement, étant dans une démarche de collection. Pourtant, a posteriori, je constate que mes choix se sont révélés justes, au regard de la place qu’occupent aujourd’hui ces artistes sur le marché. trait commun sombre et introspectif, dessin ’intensité expressive me saisit, tribal.
Ngalula MAFWATA : Quelles expériences ont influencé votre conception de la galerie et votre rapport à l'art vivant ?
Valerie LEFORT : Au delà de mon quotidien encore rythmé par les vernissages et visites dans les galeries de par mon parcours, je suis marquée par Emmanuel Perrotin qui a l’époque vit et expose dans son appartement rue Beaubourg, véritable lieu de vie. Le concept était novateur pour l’époque : faire de son espace de vie un lieu d’exposition, mêlant intimité et démarche commerciale. Cette approche me marque profondément. Je me dis alors qu’un jour, je pourrais imaginer une galerie pensée non pas comme une simple vitrine, mais comme une maison habitée par l’art. Emmanuel Perrotin reste, encore aujourd’hui, une figure dont je suis attentivement le parcours.
Je suis également bouleversée lors d’une visite au CAPC de Bordeaux, où j’assiste à l’exposition de Gilbert & George, venus présenter leur œuvre et performer “Singing Sculpture” durant trois heures. Leur présence sincère, leur fusion avec le public, leur manière d’abolir toute frontière entre l’art et la vie me bouleverse. Ce jour-là, je découvre ce que signifie réellement une œuvre vivante.
AHIAHY (Doute incertitude), Ashiko RATOVO, 2024
Ngalula MAFWATA : Pourtant, vous ne vous lancez pas tout de suite ?
Valerie LEFORT : Non, je débute ma vie de famille et mets mes projets artistiques entre parenthèses et me tourne vers l’immobilier. Cette parenthèse va durer vingt ans, dont quinze passés dans l’immobilier haut de gamme et je lance mon agence, VL Signatures, en 2017 à Bordeaux. Je développe une forte notoriété locale en construisant des relations durables et de confiance avec mes clients. Mon regard affûté pour l’esthétique me conduit vers des biens rares. Ce métier a nourri ma sensibilité artistique : j’adorais découvrir des intérieurs d’exception et échanger avec mes clients, souvent collectionneurs d’art. Il m’est arrivé de tomber sur un Picasso ou un Mondrian accroché dans un salon. Ces instants me rappelaient à quel point l’art restait, malgré tout, au cœur de mon parcours.



Ngalula MAFWATA : Comment débute alors VL Fineart ?
Valerie LEFORT : VL Fineart est une niche à laquelle j’ai longuement réfléchi. Au fil du temps, j’ai affiné le positionnement que je souhaitais lui donner en tenant compte des réalités spécifiques de La Réunion et de l’Océan Indien. Ce cheminement m’a conduite naturellement vers le format de la galerie, en y transposant les compétences développées au fil de mon parcours dans l’immobilier haut de gamme.
Le véritable déclencheur de cette aventure a été ma rencontre avec les artistes. J’ai commencé à voyager, notamment à l’île Maurice, où j’ai été accueillie avec enthousiasme. Ces échanges m’ont permis de nouer des liens sincères tout en affirmant mon professionnalisme. Je me suis lancé un défi : convaincre certains artistes de me faire confiance et de rejoindre VL Fineart. J’ai alors découvert un univers humainement et artistiquement riche, peuplé de personnalités sensibles, dont la démarche m’a profondément touchée. Je me suis tournée vers des artistes émergents — mais pas uniquement — chez lesquels j’ai perçu un potentiel réel, tant artistique que commercial, auprès de collectionneurs intéressés par les scènes de l’océan Indien et de la diaspora. VL Fineart incarne à la fois un défi personnel et une continuité logique dans mon parcours. C’est une nouvelle aventure que je suis heureuse de mener, entourée d’artistes qui ont choisi de me faire confiance.
Ngalula MAFWATA : Quels sont les défis auxquels vous faites face en développant VL Fineart à La Réunion ?
Valerie LEFORT : J’ai rapidement été confrontée à plusieurs spécificités liées au contexte culturel, géographique et économique de régional. À La Réunion, par exemple, le marché local reste limité : nous sommes environ 900 000 habitants sur l’île, et l’art comme la culture demeure un secteur de niche avec quelques galeries actives, une réalité bien différente de celle de la métropole, où les lieux de diffusion artistique sont nombreux et dynamiques. De manière générale, ces espaces sont rares, tout comme les dispositifs de soutien financier. Cela limite les opportunités d’exposition pour les artistes en particulier.
L’éloignement géographique dans la région constitue un autre défi, notamment pour créer des ponts avec l’Afrique ou l’Europe. Il devient alors essentiel d’accompagner les artistes de la région et de leur offrir une visibilité orientée en métropole. J’ai fait le choix, dans un premier temps, de présenter principalement des expositions en Europe.
L’éloignement géographique dans la région constitue un autre défi, notamment pour créer des ponts avec l’Afrique ou l’Europe. Il devient alors essentiel d’accompagner des artistes réunionnais ou installés dans la région et de leur offrir une visibilité en métropole.
Valerie LEFORT, VL Fineart
Ngalula MAFWATA : Quelle ligne artistique défendez-vous à travers VL Fineart, que pouvons-nous attendre ?
Valerie LEFORT : Je ne voulais pas tomber dans une approche folklorique de l’art, ni le réduire à de l’artisanat. La frontière entre les deux est parfois ténue, mais elle mérite d’être clairement tracée. Les artistes que je représente sont des professionnels à part entière. Il est essentiel de valoriser leur talent, leur histoire, leur culture — non pas dans une vision exotisante, mais dans une démarche de reconnaissance artistique authentique.
Mon objectif est de les positionner sur des scènes exigeantes : auprès de collectionneurs, dans des foires et biennales, et non uniquement dans des résidences ou fondations, bien que ces dernières puissent jouer un rôle ponctuel. Depuis le début de cette aventure, j’ai reçu un accueil chaleureux auprès de ces artistes qui regorgent de talents encore trop peu visibles. Je prends un réel plaisir à m’engager pour ces artistes et à structurer leur accompagnement. Le rôle des femmes dans cette scène est également particulièrement fort : elles portent un regard critique sur la société, dénoncent de nombreux carcans, dont le patriarcat avec force et subtilité. J’ai hâte de pouvoir partager leurs récits avec un public plus large dans un avenir proche.
“La Réunion est une terre de diversité culturelle, où Créoles, Malgaches, Indiens, Chinois, Africains et bien d’autres communautés cohabitent et influencent la création artistique locale, souvent ancrée dans une identité multiple et riche. Je conçois l’océan Indien comme un carrefour stratégique entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, où cette diversité suscite un intérêt grandissant à l’international. ”
Ngalula MAFWATA : Comment définiriez-vous votre positionnement et vos ambitions pour promouvoir les artistes de l’océan Indien à l’international ?
Valerie LEFORT : La Réunion est une terre de diversité culturelle, où Créoles, Malgaches, Indiens, Chinois, Africains et bien d’autres communautés cohabitent et influencent la création artistique locale, souvent ancrée dans une identité multiple et riche. Je conçois l’océan Indien comme un carrefour stratégique entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, où cette diversité suscite un intérêt grandissant à l’international. Mon objectif est de faire sortir ces artistes de leur territoire, afin d’accroître leur visibilité au-delà des frontières. Un marché actif s’est développé entre Maurice et l’Afrique du Sud, ce qui souligne l’importance de renforcer les efforts en faveur des artistes de Madagascar et de La Réunion et de soutenir leur visibilité. Je crois profondément au talent de ces artistes et souhaite les accompagner dans mes capacités même si parfois, j’ai l’impression de relever un défi un peu fou. (Rires.)
Je débute dans un contexte où les collectionneurs intéressés par la scène artistique de l’Océan Indien sont encore peu nombreux, que ce soit en France, en Europe, en Afrique ou ailleurs. Aujourd’hui encore, je reste attentive aux initiatives des fondations, centres culturels et artistiques de La Réunion, de Maurice et des territoires environnants.
C’est sur cette base stratégique que j’ai lancé VL Fineart, pour relayer leurs créations tout en annonçant la galerie. C’est également avec cette vision que nous avons décidé de participer à Art Shopping à l’automne prochain.



Pour en savoir plus sur VL Fineart, rendez-vous sur leur site : vlfineart.com et à Art Shopping (Paris) 17-19 Octobre 2025.