Otobong Nkanga, I dreamt of you in colours : “Je pense la Terre comme un Être, comme notre corps.”

Qu’est-ce qu’un organisme vivant ? Qu’est-ce qui nous relie les uns aux autres ? Ces interrogations, qui sont au cœur de la pratique d’Otobong Nkanga (née 1974), irriguent l’ensemble de son œuvre aujourd’hui mise en lumière au Musée d’Art Moderne de Paris dans une exposition monographique d’exception. I Dreamed of You in Colors se présente comme une plongée sensible et immersive dans le cabinet des curiosités de l’artiste. À travers une recherche rigoureuse et poétique, Otobong Nkanga révèle les liens invisibles qui nous unissent et travaille à réinscrire l’être humain au sein de la biosphère, dans un continuum vivant fait de matières, d’histoires et d’interdépendances.

Otobong NKANGA

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Cet automne et jusqu’au 22 février 2026, le Musée d’Art Moderne de Paris propose une exposition monographique exceptionnelle consacrée à Otobong Nkanga, dont l’œuvre, à la croisée des sciences, de l’écologie et de l’expérience humaine, résonne avec une acuité particulière face aux enjeux contemporains. À travers installations, dessins et sculptures, l’artiste explore les liens invisibles qui unissent les corps, les matières et les territoires, invitant à repenser notre relation au vivant et aux ressources de la Terre.


Organismes Vivants

Née à Kano, dans le nord du Nigeria, et ayant grandi dans des villes et pays étrangers, Nkanga développe très tôt une sensibilité aux territoires et à leurs mutations. En effet, ces déplacements répétitifs dans sa jeunesse laissent une empreinte dans son histoire individuelle et constitue le fil rouge de son travail. Ainsi, en partant du corps individuel, elle explore les notions d’union et d’interdépendance qui nous connectent tous avec pour mission de  rétablir le lien originel entre l’homme et la terre.  Elle interroge l’empreinte de l’homme sur la terre — sa manière de marquer, d’extraire, de transformer — et rappelle que nous ne sommes pas en dehors du monde vivant, mais une de ses composantes. Nous ne sommes qu’un, semble-t-elle nous dire. L’artiste convoque la biologie pour replacer l’humain dans la biosphère : non pas au-dessus, ni à côté, mais en relation.


Exploration matérielle 

 

Considérons l'œuvre d'Otobong Nkonga comme une recherche où chaque travail présente une interprétation de cette notion d’organisme notamment à travers un usage méthodique des matières. L’œuvre d’Otobong Nkanga peut être envisagée comme une recherche continue où les matières, dont elle fait un usage méthodique, occupent une place centrale. Chercheuse autant qu’artiste, Nkanga développe une approche presque scientifique de la matérialité : ses voyages, résidences et immersions sur différents territoires deviennent autant de terrains d’étude dont elle prélève formes, couleurs, textures et récits. De ces observations naissent des œuvres aux résonances universelles, capables de tisser un dialogue subtil entre expérience intime et préoccupations globales.

Cette tension entre mobilité et ancrage structure l’ensemble de sa pratique. En interrogeant les liens entre les déplacements humains, l’empreinte que nous laissons sur notre environnement et la pression exercée sur les ressources naturelles, Nkanga ouvre une réflexion profonde sur notre place au sein de la biosphère et sur les interactions qui en découlent. Un fil se déroule, lentement, nous invitant à le suivre pour comprendre les échos, les frictions et les connexions qui composent notre monde.

 

Alterscape Stories, Otobong NKANGA (2006), Credit : Mayi Arts


La mémoire de la terre.

Dans Alterscape Stories, née d’un séjour à Fuerteventura, aux îles Canaries, Nkanga documente l’influence de l’intervention humaine sur les paysages. Ses œuvres deviennent des organismes vivants, capturant l’effacement du passé et la réécriture du présent et un futur hypothétique.

L’oeuvre Tsumeb, est un constat des conséquences des exploitations minières d’après sa visite à Green Hill, l’une des mines les plus riches au monde de la ville située en Namibie. Exploitée à partir de 1907 par le gouvernement colonial allemand de l’époque Les minéraux et minerais contenant des composés de cuivre, de plomb, d’argent, d’or et d’arsenic étaient ramenés à la surface et fondus sur place. La mine a cessé ses activités en 1996, son exploitation n’étant plus rentable. Néanmoins, un four de fusion polluant utilisé pour le minerai de cuivre y fonctionne toujours, causant de graves problèmes pour l’environnement et la santé de la population locale.

Dans le train qui la menait à Tsumeb, Otobong Nkanga a réalisé que la voie ferrée avait été spécialement aménagée pour transporter les minerais jusqu’au port de Swakopmund. Elle dira :


La construction de ce chemin de fer a dû coûter sang, sueur et larmes […]. En Namibie comme dans le monde entier, l’homme défigure le paysage […] En Namibie, un paysage est mutilé et des rochers sont broyés, créant un vide qui émerge ailleurs sous une autre forme.
— Otobong NKANGA

Tsumeb, Otobong NKANGA (2015), Credit : Mayi Arts

Restitutions et témoignages. 

Au reste, Nkanga partage ses résultats de recherche avec une forme de rigueur distincte. De sa résidence à Pointe-Noire, elle produit une série de quinze dessins nommés après la ville. Ces œuvres explorent, entre autres, les réalités et tensions liées à l’exploitation pétrolière et à ses répercussions sur la société congolaise, oscillant entre dessin d’art et dessin technique topographique. 

Pour son exposition personnelle en Autriche, elle se tourne vers le textile et conçoit une série de quatre tapisseries monumentales, chacune complétées de plaques sur lesquelles elle grave des poèmes, des lettres d’amour à la terre. Entre fibres et pigments, elle insère des éléments vivants, de la terre, de l’herbe dans ces murs vivants. Ces pièces résultent de son immersion au TextielLab du Textielmuseum de Tilburg (Pays-Bas), où elle a mené ces expérimentations textiles d’envergure. 

À travers la terre, les mines, les mers et les saisons, elle raconte une histoire des transformations. Observer la nature revient à se contempler soi. La terre , toujours, revient, obstinée, féconde. Chez Nkanga, l’herbe reprend toujours le dessus. Ainsi, son œuvre entière agit comme un laboratoire poétique et organique où l’art, la science et la mémoire dialoguent.

Si la narrative de l’étude d’Otobong NKANGA reste constante en filigrane, entre enjeux écologiques, liens de filiation et références biologiques, certains motifs récurrents — véritables codes plastiques et conceptuels — réapparaissent dans chacune de ses propositions comme autant de rappels.  Pourtant, chaque volet créatif se distingue : il correspond à une destination, un ancrage précis, une exploration matérielle singulière qui enrichit l’ensemble de sa recherche. L’oeuvre de Otobong NKANGA souligne encore qu’il est impératif à l’homme de retrouver sa place au sein de la biosphère non plus au dessus ou en marge, afin d’en préserver l’équilibre et la pérennité. 

I Dreamt of You in Colours, Otobong NKANGA, jusqu’au 22 février 2026 au Musée d’Art Moderne de Paris.

Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com
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