D’Art Basel à AKAA 2025, l’Afrique rayonne pendant les Art Weeks : Entre maturité et nouveaux enjeux

Entre Londres et Paris, la présence africaine s’est une nouvelle fois imposée durant les Art weeks de octobre 2025. Des allées de Frieze London et Art Basel Paris aux couloirs d’AKAA, en passant par Nigerian Modernism, l’exposition historique présentée au Tate Modern, les narratives émanant du continent se sont déployées avec assurance. Artistes, curateurs et institutions témoignent d’une maturité nouvelle et d’une énergie de renouveau sur le marché. Retour et réflexions autour des évènements marquants.

Nu Barreto, AKAA, Crédits : MAYI ARTS

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À Londres et Paris, Frieze et Art Basel 2025 soulignent la représentation d’artistes africains confirmés auprès de la nouvelle garde 

À Londres, Frieze présenté une de ses éditions les plus internationales à ce jour comme le souligne Eva Langret, directrice Frieze EMEA :

 “Frieze, Londres, tout comme la ville elle-même, réunit les esprits artistiques les plus passionnants du moment — une véritable photographie de ce que le monde de l’art global pense et produit aujourd’hui. L’édition de cette année est plus internationale que jamais, avec de nouvelles galeries venues de Tunisie, du Japon et du Brésil, reflétant l’expansion toujours croissante du monde de l’art.” 

À ce sujet, une section dédiée aux liens entre l’Afrique et les régions du monde, Echoes in the Present curatée par Dr. Jareh Das a mis en exergue le propos. et au travers d’artistes de la nouvelle garde. Ainsi, pour sa première participation à la foire, la galerie Tafeta (Ayo Adeyinka) a présenté un solo impressionnant de l’artiste Bunmi Agusto liant mémoire ancestrale et points historiques clés - et méconnus - de l’histoire connectée du Nigéria et du Brésil. La présence de l’artiste franco-béninoise Mélinda Fourn et de l’artiste franco-guadeloupéenne-congolaise Naomi Lulendo, toutes deux représentées par Selebe Yoon, comptait également parmi les stands remarqués. Au même titre que la madonne transgressive de Zanele Muholi, les fresques guérisseuses de Manyaku Muholi, ou encore le portrait royal de Roméo Mivekannin sur velours (Southern Guild), leurs œuvres ont particulièrement retenu l’attention.

À Art Basel, les gardes empiriques Seyni Awa Camara, Chéri Samba et Abdoulaye Konaté côtoient la nouvelle génération — Alioune Diagne, Omar Ba, JP Mika, Ana Silva… — représentée par des galeries parisiennes bien établies.


1-54, une édition recentrée et intentionnelle

Désormais véritable institution, 1-54 Londres s’est distinguée cette année par une édition plus resserrée que la précédente, marquée par une approche où l’intentionnalité était au cœur, notamment au travers les projets spéciaux et les œuvres présentées. Deux tendances se sont clairement dessinées au sein de la foire : d’un côté, des espaces curatés et raffinés, à l’instar de Oh Gallery, Afikaris ou 1897, affirmant la montée en gamme d’un salon qui, plus que jamais, assume une ligne artistique cohérente et exigeante. De l’autre, des propositions plus brutes et dynamiques, portées entre autres par Tern Gallery et Kub’Art Gallery.

Parmi les projets spéciaux, l’installation in-situ de Léonard Pongo, Mbanza Tapestry, issue du projet Primordial Earth (Project Loop), a particulièrement retenu l’attention. Cette édition intentionnelle confirme la maturité de la scène africaine : entre artistes établis et nouvelles galeries indépendantes, on perçoit un véritable soin dans la curation, une rigueur professionnelle et une ambition collective assumée au bonheur des collectionneurs.


Modernism in Nigeria : inscrire l’histoire dans le canon

Ce même mois a débuté au Tate Modern, l’exposition Modernism in Nigeria, un hommage exceptionnel aux pionniers du modernisme nigérian. Sous le commissariat d’Osei Bonsu, la curation embrasse une histoire nationale longtemps éclipsée : celle d’un pays qui, au XXe siècle, a su forger une identité solide, avant et après son indépendance en 1960, et au-delà des conflits tribaux. L’exposition réunit des œuvres venues du monde entier, parfois issues de collections privées et présentées au public pour la première fois. Akinola Lasekan y dépeint les mythes et traditions, tandis que Ben Enwonwu est consacré avec une exposition dans l’exposition. La céramiste Ladi Kwali est également mise à l’honneur. Le parcours s’arrête à la fin des années 1980, période marquée par un modernisme affirmé dialoguant avec l’esthétique internationale de l’époque, à l’instar des travaux d’Uzo Egonu.

Une exposition monumentale qui repositionne le Nigeria dans la chronologie mondiale du modernisme et, ce faisant, contribue à une meilleure valorisation du contemporain nigérian dans l’échiquier international. (Exposition ouverte jusqu’en juin 2026.)


Le Prix Elembo Ya Sika : une nouvelle fenêtre pour la jeune scène congolaise

Durant cette même semaine, Mayi Arts a eu l’honneur d’assister au lancement du Prix Elembo Ya Sika au King’s College à Londres, imaginé conjointement par la Fondation Defise et Africell. Ce prix, exclusivement dédié aux artistes émergents basés à Kinshasa, s’accompagne d’une bourse, d’un soutien matériel ainsi que d’un mentorat d’un an avec l’artiste Eddy Kamuanga Ilunga. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 23 novembre — une initiative prometteuse pour structurer et professionnaliser la scène congolaise.


AKAA : entre renouvellement et affirmation esthétique

Pour sa dixième édition, AKAA – Also Known As Africa – la foire devait répondre à un double défi : se renouveler et renforcer son ancrage économique comme affirmé par son nouveau directeur artistique Sitor Senghor.

Cette édition a présenté une scène contemporaine transénérationnelle, portée par un retour assumé du beau, des œuvres grand format et de la matière — entre techniques mixtes, sculptures et installations.
AKAA a également démontré une volonté d’élargir la narrative artistique et le visuel attendu, avec la présence d’exposants venus d’horizons divers. À ce sujet, 3 femmes ont marqué pour des raisons différentes : Gladys Gambie Prix Ettore e Ines Fico 2025 (Maison Gaston), Jennia Fredrique Aponte pour son exposition inattendue - et pratiquement sold out (Art Melanated), enfin Julie Mvie et sa restitution de résidence pensée autour des invisibles de la société  (IF Gabon).

Au reste, malgré un contexte économique prudent — le marché de l’art africain représentant 5 % du marché global — certaines ventes remarquables laissent penser que la recherche du beau prévaut toujours. Les succès de M’bareck Bouhchichi (Dagoma-Harty), Amani Bodo (Primo Gallery) ou Gavin Goodman (Filafriques) en témoignent. Plus qu’une foire, AKAA 2025 a offert un regard renouvelé : celui d’une Afrique plurielle, confiante, et consciente de sa place dans l’histoire mondiale de l’art.


Entre structuration et maturation, les arts d’Afrique sont dans une phase de transition où il ne s’agit plus de montrer mais bel et bien de s’inscrire dans l’histoire et également dans le marché de façon pérenne.


Ngalula MAFWATA

Ngalula MAFWATA is the founder of Mayì-Arts.

https://www.mayiarts.com
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